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Intemporels Le retour à la vie

juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65 | par Didier Garcia

En ouvrant une parenthèse d’une semaine dans la vie d’un couple, Kosztolányi plonge son lecteur dans la complexité de l’âme humaine.

Si l’on parvient à oublier que Sarszeg se niche quelque part dans la province hongroise, cette petite ville en vaut bien d’autres : quelques curiosités, à peu près comme ailleurs, une grappe de maisons, dont l’immobilité a « quelque chose de presque pathétique », massée autour d’une église dont les cloches carillonnent sans cesse, pour toutes les messes de la journée, cela va sans dire, mais plus encore pour les enterrements. Incroyable comme on y meurt dans ce village ; et si l’on y meurt pas, on y mène une existence qui ne vaut guère mieux que la mort.
Ce roman de Dezsö Kosztolányi (1885-1936) se passe donc à Sarszeg (prononcez Charsègue), « point minuscule sur la carte » où la cirrhose sanctionne chaque vie. À vrai dire, c’est un cadre excellent, idéal, presque parfait, pour un écrivain désireux de bâtir un roman qui soit à la fois un tableau de la vie provinciale et une sorte de huis clos. Un endroit plutôt propice à la réclusion et au repli sur soi.
L’intrigue de ce roman, tenu pour la pièce maîtresse de l’écrivain hongrois (écrit en 1923, et publié l’année suivante), pourrait tenir au dos d’une carte de visite : Alouette surnom dont cette femme a hérité dans son enfance, à l’époque fortunée où elle chantait encore quitte ses parents pour une semaine de vacances à la campagne chez un oncle qu’elle n’a pas vu depuis des années. Pendant une semaine, on la perd donc de vue, puis, le jour prévu, avec à peine trois heures de retard sur l’horaire, comme pour permettre à chacun de se préparer aux retrouvailles, on assiste à son retour. Voilà. C’est tout.
L’affaire serait d’une inquiétante banalité si Alouette n’avait 35 ans, et si elle ne quittait le giron familial pour la première fois. Pour les deux vieux parents, soudain débarrassés du fardeau d’une fille trop laide pour trouver un mari, voici donc que se profile une semaine de liberté et de retour à la vie.
Dans ce roman, les tours de force ne manquent pas. Ce n’est pas rien, quand même, d’être parvenu à construire un roman autour d’un protagoniste présent dans trois chapitres sur treize (dans le dernier, lors de son retour, et dans les deux premiers, durant lesquels la famille prépare ses valises, l’accompagne à la gare, et le voit disparaître à l’horizon). Un protagoniste absent donc, ce qui ne l’empêche nullement d’affecter chaque minute de cette sacrée semaine. C’est que chacun des gestes de ses parents, les Vajkai, est vécu à l’aune de son absence. Et si la vie redevient soudain possible (le couple, qui n’était pas sorti depuis belle lurette, retrouve alors un semblant de vie sociale), c’est précisément grâce à cette délivrance provisoire. Pas une mince affaire non plus d’avoir fait tenir tout un roman sur si peu d’événements. Si l’on excepte la cuite que se prend le père Vajkai, et grâce à laquelle il s’autorise à donner nom au malheur de la famille, à savoir la laideur de leur fille (il va jusqu’à dire tout haut ce qu’il pensait pour lui seul : le mieux serait qu’Alouette ne revienne pas, évidence que sa femme s’acharne bien sûr à réfuter), il ne se passe pas grand-chose. Entendez par là rien de très romanesque, rien de bien spectaculaire. Le couple déjeune au restaurant, où l’on parle politique, davantage pour trouver quelque chose à se dire que pour vivre pleinement l’actualité (l’avènement du communisme par exemple, ou, en France, les rebondissements dans l’affaire Dreyfus nous sommes alors en 1899) ; il passe une soirée au théâtre, et s’organise au fil des heures une vie faite de petites choses (quand on a perdu l’habitude de vivre, tout prend figure d’événement). Le roman repose donc pour l’essentiel sur l’investigation psychologique, comme dans certaines nouvelles d’Evguéni Zamiatine, cet écrivain russe qui fut son exact contemporain (1884-1937). Si la semaine trouve malgré tout à s’écouler, c’est comme portée par les pensées du père, qui hésite entre l’empathie et la démission, la fuite dans l’alcool ou l’oubli pur et simple de sa fille. Pour la mère, cette séparation lui permet de reprendre espoir : et si d’aventure Alouette rencontrait quelqu’un ? Et si le destin se montrait tant soit peu favorable ? mieux encore charitable ? Malgré tant d’absence, le roman suit une progression parfaitement perceptible, une sorte de crescendo dans la lourdeur.
Pas étonnant donc qu’Alouette, qui n’a pourtant l’air de rien, qui est fait sans prétention, avec des phrases courtes et une belle économie de moyens, soit considéré comme un des classiques de la littérature hongroise (son auteur le tenait lui-même pour son travail le plus abouti). Ce roman-là en impose par son inactualité : en choisissant la vie provinciale et un drame existentiel, Kosztolányi s’opposait à toute la production d’une époque massivement centrée sur les capitales et les plaisirs des années folles. Mais au final, la réussite est là : parce que le destin des Vajkai dépasse les frontières et les époques, parce qu’Alouette explore les contradictions de l’âme humaine, le lecteur tient un authentique roman intemporel. Un de ceux qui auront la vie longue.

Alouette
Dezsö KosztolÁnyi
Traduit du hongrois
par Ádam Péter
et Maurice Regnaut
Viviane Hamy, « Bis »
252 pages, 9

Le retour à la vie Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°65 , juillet 2005.
LMDA PDF n°65
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