Revenons un peu en arrière, c’est-à-dire avant les vacances. Élection présidentielle en Iran, victoire de Mahmoud Ahmadinejad, candidat mollah, austère, radical appelez-le comme vous voudrez, c’est en tout cas le méchant de l’affaire. Un grand quotidien français s’interroge alors : pourquoi les Iraniens viennent-ils donc s’enticher d’un pareil bougre, pourquoi ont-ils diable si mal voté ? C’est que « les urnes ont été utilisées pour exprimer une colère sociale (…). Comme on dirait en d’autres lieux, le peuple a adressé un message au(x) pouvoir(s) » (Libération, éditorial de Jean-Michel Helvig, 27 juin). Ouf, il ne s’agissait donc que d’un message. Qui plus est, on n’est pas obligé d’entendre ledit message : « Pour autant, pas plus là-bas qu’ailleurs une majorité sociologique incontestable ne fait une vérité politique indiscutable ». « Pas plus là-bas qu’ailleurs » faisant suite à « comme on dirait en d’autres lieux », il apparaît assez clairement que l’éditorialiste dessine ici une analogie. Car il se souvient du récent référendum : alors, pour donner à comprendre l’Iran, il regarde vers la France. Soit, mais nous nous souvenons aussi qu’un mois auparavant, l’essentiel de la prose journalistique avait accompli un mouvement inverse : on explicitait alors le non hexagonal à grands coups de comparaisons, en l’éclairant notamment à la clarté aveuglante du Grand Régressif Oriental (« intifada, repli, jet de pierre… »). Si A fait comme B, il s’avère maintenant que B s’inspire de A : mais qui a commencé ? Puis-je dire en même temps que les électeurs sont cons comme la lune et que la lune est aussi conne que les électeurs ? Et en quoi suis-je par là avancé ?
Peu importe : l’essentiel est d’avoir construit un pont qui puisse être emprunté dans les deux sens. Et si la circulation y donne le tournis, voilà qui est encore mieux, car au-dessus du pont, on va hisser un panneau qui donne lui aussi le tournis. Il indiquera ce puissant fluide qui circule de A en B et de B en A. Chacun le voit maintenant apparaître : laissez place au surexcité populisme, « partout à la fête électorale dans le monde arabo-musulman » (éditorial de Jean-Michel Helvig) en même temps qu’il se propage chez nous sous la forme d’une « épidémie » (éditorial de Serge July, un mois plus tôt) sans compter ses ravages dans le Venezuela d’Hugo Chavez. Ah, le mot magique ! Populisme est en effet très pratique. D’abord, on s’entend très bien sur ce qu’il recouvre et sur ce qu’il ne recouvre pas. Ainsi l’écho joyeusement donné à certains affects (l’Amour des Jeux, le retour de sainte Florence, le cahier sexe de Libération), c’est bien sûr de la fibre populaire ; mais l’exploitation irresponsable de la colère sociale, c’est évidemment une manœuvre populiste. Il n’est pas nécessaire, donc, de s’embarrasser par des préalables. Ainsi libérée des entraves de la définition, notre dénomination peut servir dès que nécessaire autant et plus que nécessaire même. Car le bénéfice des abus et amalgames, c’est qu’ils ont la couleur de l’époque et de ses confusions supposées. Bienheureux paradoxe, le mot évoque ainsi d’autant mieux la chose qu’on l’emploie n’importe comment. Il connaît des usages toujours plus nombreux et arbitraires ? Mais c’est là se mettre à l’unisson des masses errantes et aveuglées. Il se gonfle d’images de tempête et de maladie mais n’est-ce pas pour exprimer par empathie l’excès du présent ? Serge July montre la voie lorsqu’il décrit une France essuyant « un désastre général et une épidémie de populisme qui emportent tout sur leur passage, la construction européenne, l’élargissement, les élites, la régulation du libéralisme, le réformisme, l’internationalisme, même la générosité » : sa phrase pourrait encore se déployer en divers cercles, vagues, nappages. L’énumération réchauffe l’âme, à défaut de pensée.
Avec la langue C’est tout comme
septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66
| par
Gilles Magniont
Pour surplomber le monde, effectuons deux mouvements de gymnastique rhétorique.
C’est tout comme
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°66
, septembre 2005.