Eugène Savitzkaya en toute liberté
Dans Fou civil, Eugène Savitzkaya livre son art poétique : « L’acte d’écrire, bien qu’il se fonde sur des pratiques ancestrales et des connaissances collectives, doit être aujourd’hui plus que jamais un acte individuel et s’inscrire dans un processus de révolte, de rage et de vocifération, mais aussi d’observation minutieuse du monde et des rouages grippés de notre société dont les modalités diverses ne représentent plus qu’une façade clinquante derrière laquelle se cache la pire des féodalités. » (p.126). C’est avec beaucoup d’attention et de gentillesse que l’écrivain s’est prêté au jeu des questions-réponses. Mais le mystère de sa prose, de toute façon, n’est pas près d’être levé.
Eugène Savitzkaya, on a l’impression que vous n’êtes pas un écrivain qui écrit des livres, les uns après les autres, mais plutôt un auteur dont les livres sont comme une photographie à un moment précis de l’œuvre en cours. Est-ce que plus que des livres, ce n’est pas écrire une œuvre qui vous importe ?
L’écriture est un outil, un moyen comme un autre d’appréhender les choses, de mieux les sentir. C’est une façon de mieux mémoriser les événements parfois les plus infimes. C’est comme un pense-bête. Mais j’attache autant d’importance à la marche, au jardinage qu’à l’écriture. Ce sont aussi des façons d’intervenir dans ce qui se passe autour de moi. Je consacre finalement assez peu de temps à l’écriture : une heure ou deux quotidiennes de mon temps libre qui est considérable. Et encore, pas tous les jours. Je passe beaucoup plus de temps à lire qu’à écrire. La lecture est mon activité principale.
En fait, je prends des notes en permanence et au bout d’un moment certaines notes convergent autour de mêmes préoccupations. Alors, je les rassemble, je les colle, je les retravaille. Mes notes sont déjà des phrases très construites qui rendent vif le moment où elles sont nées et lorsque je les retravaille, ce moment est encore précis en moi.
Le livre vient clore quelque chose dont je me débarrasse pour faire de la place. Les livres sont des jalons.
Toutefois, on peut saisir de grandes différences de ton, de style entre certains de vos livres. Cette diversité de manière vous est-elle nécessaire ?
Le fait de m’acharner sur un livre fait comme une sorte de pli, et pour me débarrasser de ce pli, il me faut faire un autre livre. Chaque livre écrit me transforme. Je n’ai pas l’ambition de construire le livre, il se construit de lui-même, par le simple mouvement de la vie. Le sujet d’un roman est une sorte de prétexte. Ce qui m’intéresse c’est la formulation : chercher une articulation de la phrase, c’est ça ma véritable passion. Le son que ça fait.
Avec le désir de trouver des formes neuves ?
Oui. Inventer. Par tel ou tel agencement faire surgir quelque chose. Presque de manière involontaire. Je m’intéresse de plus en plus au cinéma et il m’arrive de temps en temps de travailler sur un tournage comme simple...