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Poésie Dans la gueule de la baleine

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Richard Blin

Dans la gueule de la C’est la partition secrète du mystère de sa propre énigme que met en mots l’œuvre de Dadelsen (1913-1957). Une voix gouvernée par la recherche angoissée de l’apaisement.

Le nom de Jean-Paul de Dadelsen apparaît pour la première fois dans la N.R.F., de Jean Paulhan, avec Bach en automne. Deux ans plus tard, il meurt d’un cancer du cerveau. À peine aura-t-il eu le temps de faire paraître quelques poèmes en revue, et pas du tout celui de préparer l’édition de ses poèmes. C’est l’œuvre, forcément restreinte, de ce météore il n’a vraiment commencé à écrire qu’à partir de 1952 qu’il nous est aujourd’hui donné de redécouvrir. Une œuvre sans véritable ascendance, inclassable, venant de nulle part, si ce n’est d’un sentiment particulièrement vif de la dépossession et du mystère d’être.
Né en 1913, à Strasbourg, Dadelsen eut une vie riche, intense, marquée par l’excellence et l’art de ne pas se prendre au sérieux. Reçu premier à l’agrégation d’allemand, il fut traducteur (Keyserling, Kassner), professeur de lycée, officier de parachutistes dans les Forces Françaises Libres, en Angleterre, dès 1942, avant de devenir le correspondant étranger de Combat, le journal de son ami Albert Camus. Puis, après avoir été titulaire d’une émission française de la BBC, il devint conseiller d’organisations européennes et internationales où il brilla grâce à sa culture et à son charme. Henri Thomas, qui le connut à la BBC, dit de lui qu’il était « quelqu’un de peu sérieux, d’insaisissable, quelqu’un d’intelligent et d’impossible ». Ouvert, ajoute-t-il, « entièrement présent, mais comment dire ? La poésie (non plus que la musique) n’était du domaine de ses conversations ». Ce qui fait que personne ne devina la vocation poétique qui était la sienne et qui allait se révéler à la veille de sa mort.
C’est d’ailleurs la musique, dont il ne parlait jamais, et plus particulièrement l’œuvre de Bach, qui semble lui avoir proposé un modèle d’écriture : la perfection des arpèges et la clarté faite son, fût-ce au pire des ténèbres. Comme s’il n’y avait que cette lumière intérieure, et la grâce de l’art, à opposer aux désordres de l’entropie et de la mort. Car si Dadelsen peut être drôle, inventif, cocasse, ironique « Cœur obstiné, vieux taximètre/ Compte les heurs de bon aloi/ Je parcours en vain la planêtre/ Ô Dagobert sans saint Eloi/ Je porte ma vie à l’envêtre/ Ma tête dans mon pantaloi » ; s’il maîtrise l’improvisation avec virtuosité, ce qu’il écrit relève avant tout de l’éprouvé, de l’inquiétude et du chant, accordés. Une poésie vécue absolument, viscéralement, écrite avec « cet amour qui ne discute pas avec Dieu/ et ne fait pas le critique esthéticien qui trouve/ que dans la création, à côté de passages de première force,/ il y a de bien regrettables faiblesses./ Ô truie esthétique, qui tolère les araignées et les serpents,/ et qui dit merde pour faire moderne,/ mais jamais ne saurait souffrir mention des poils du cul ! »
Gouvernée par la recherche angoissée de l’apaisement, et portée souvent par l’élan de la méditation, la poésie de Dadelsen est le fait d’un être secrètement égaré, et profondément mélancolique « La mélancolie n’est pas une plainte, mais un lieu ». À sa tendance à la dissipation et au sombre « Ô lassitude et secret désir d’enfin se perdre pour de bon/ Dans les ténèbres internes de quelque baleine définitive », le poème se veut lieu de recueillement. « Arrête-toi. Au lieu de haleter de seconde en seconde/ Comme un torrent de roc en roc dévalant sans vertu,/ Respire// (…) Regarde, comme si c’était le monde tout entier,/ Un objet menu et domestique, par exemple/ Cette tasse// (…) Si maintenant tu apprenais à fixer ton regard, ta pensée,/ Ton âme sans ciller sur quelques centimètres carrés de/ Lisse,/ Peut-être alors, sans fuir le monde, sans éviter les femmes,/ Sans changer d’état, de pays, de nourriture,/ Pourrais-tu espérer un jour commencer à comprendre/ Le monde entier ». Comme si, à un Dieu dont le silence le dépasse un silence qui représenterait la dimension inhumaine de la parole ?, il ne restait qu’à opposer le miroir et la mémoire du poème. Ce que font Les Ponts de Budapest et surtout Jonas et le magnifique manteau d’ombre et de lumière qu’il tisse aux disparus. « Ils ont habité avec nous dans la gueule de la baleine./ La baleine les a crachés sur l’autre rivage (…) Regardent-ils parfois par-dessus notre épaule ? »
Entre l’appel et l’hommage, le salut fraternel et l’impuissance, c’est la vie en tant qu’arrachement douloureux à une sérénité antérieure, qui se décline ici. Et parce que Dadelsen sait que les seules expériences de retour ne se font qu’en traversant l’Achéron, la mort se lit constamment en filigrane de ses poèmes, ou alors se regarde en face, comme dans Pâques 1957, une poignante suite d’ébauches qu’il écrivit dans les semaines qui précédèrent sa fin. « Dans l’ombre malsaine de la nuit tourmentée./ Dans le désordre. Il faut attendre sans même/ un espoir précis. Il faut attendre jusqu’à ce que/ le résultat attendu se soit réalisé. » Devant l’épreuve absolue, nulle maîtrise qui tienne. La voix entre dans sa propre nudité, autant que sont nus l’âme et le langage, et Dadelsen se fait le musicien de sa propre mort. « Je serai désormais/ la voix du silence, l’ombre à votre gauche les jours/ de grande lumière, le son des pas sur les cailloux,/ le temps qui passe et passe si lentement, si vite… »
Demeure ce livre-tombeau, ce livre-baleine. Dadelsen l’habite, le hante, en est le foyer noir et rayonnant : des mots autour d’un silence qui brûle.

Jonas et autres poÈmes
Jean-Paul de Dadelsen
Poésie/Gallimard, 248 pages, 6,70

Dans la gueule de la baleine Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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