Floraison sauvage s’ouvre sur une prose sans fard : « C’était le soir, et Amalia se tenait à la fenêtre. » La sérénité de ce tableau n’est cependant qu’apparente, tout de suite traversée par un sanglot, celui d’Amalia, le personnage féminin, dont la douleur discrète, bouleversante, est la trame du récit.
Amalia et son frère Gad vivent ensemble, retirés du monde, au sommet d’un mont des Carpates. Ils sont gardiens du cimetière juif où sont enterrées des victimes de pogroms. Cette fonction, qui exige d’eux de respecter la tradition religieuse, les porte et les étouffe à la fois, les vouant à un isolement éprouvant. Leur vie reculée est une forme d’ascèse, avec ses moments de bonheur mais aussi de déréliction. C’est dans cette ambiguïté, assez déconcertante, que le roman s’épanouit véritablement : l’écriture rappelle d’abord celle d’une fable, dans sa simplicité voulue, dans les paroles nues et profondes à la fois qu’échangent les personnages. Mais le récit limpide se trouble, lorsque Appelfeld raconte, sans recours métaphorique, l’amour incestueux auquel s’abandonnent Gad et Amalia, passion physique, « désir aveugle qui bouillonnait ». Leur relation, fusionnelle, accède à une dimension mythique, mais Appelfeld ancre cet absolu dans la réalité des corps, dans celle de l’alcool distraction coupable et nécessaire et dans les tourments moraux de Gad.
Ce fruit interdit est-il un don fait à Dieu ? Ou s’agit-il seulement d’une passion terrestre, transgressive, qui submerge les personnages et les condamne ? Si la foi et l’amour de Dieu élèvent l’homme, est-il à la portée de celui-ci d’en être digne ? La fidélité à l’héritage spirituel est, au moins, ce qui doit être préservé : cet impératif est au cœur de toute l’œuvre d’Appelfeld, tel qu’il l’a par exemple évoqué dans Histoire d’une vie, sa superbe autobiographie.
Floraison sauvage d’Aharon Appelfeld - Traduit de l’hébreu par Valérie Zénatti, L’Olivier, 258 p., 20 €
Domaine étranger Le pur et l’impur
novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68
| par
Delphine Descaves
Un livre
Le pur et l’impur
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°68
, novembre 2005.