L’ouvrage, dans une mise en page très dense, propose de découvrir huit écritures très différentes et percutantes. Les pièces ont été écrites après 1985, date du retour progressif à la démocratie en Uruguay. Mais la plupart des œuvres sont traversées par la violence subie lors de la dictature. Rien de larmoyant ou de complaisant mais un constat dur au goût amer. L’histoire de l’Uruguay est tellement singulière que ces pièces ont en commun une énergie de rage ou de résistance incroyable.
L’Uruguay a également un passé mythique, comme le rappelle Roger Mirza dans une préface avec Françoise Thanas en évoquant comment les idées égalitaires entre les Indiens, les Noirs et les Blancs d’un José Artigas, héros national, ont pu être mises en œuvre entre autres par José Battle y Ordonez, deux fois président du pays au début du XXe siècle : « Battle a fondé un état prospère, paternaliste et interventionniste, redistribuant des richesses d’un pays qui se distinguera jusqu’aux années soixante par sa stabilité économique et politique, son niveau culturel, une armée loyale au pouvoir civil et une politique sociale très avancée. Des lois en faveur de la femme ont été votées dès 1913 : divorce par sa seule volonté, congés de maternité, droit de vote (…). C’est cet Uruguay, aujourd’hui mythique, que la dictature et le terrorisme d’État, suivis d’un impitoyable néo-libéralisme économique ont balayé. »
La dictature a instauré la « culture de la peur ». Trois pièces au moins en portent directement témoignage. Le Rapporteur de Carlos Liscano qui évoque toutes les années passées en prison, État des âmes d’álvaro Ahunchain, qui mêle passé et présent, vie et mort en imaginant les impossibles retrouvailles de deux anciennes amies engagées dans la lutte révolutionnaire, arrêtées et torturées et qui doivent, des années plus tard, témoigner devant la Commission pour la Paix. Dans un tout autre style, Contes de fées de Raquel Dina démarre par une adaptation de Blanche Neige, tout en racontant la lutte de trois femmes pendant la dictature, le conte de fées se percutant en permanence avec un réel très dur.
La violence, si elle n’est pas directement reliée à la dictature, semble également centrée sur la cellule familiale, comme si la violence intime faisait écho à la violence du monde. Ainsi, Péchés véniels de Ricardo Prieto met en scène un fils, invisible sur scène, on ne fera que l’entendre, qui prépare son cercueil. Sur scène, sa mère, qu’il maintient attachée depuis des années sur son lit dans une relation de haine et d’amour, de victime et de bourreau.
Une des pièces les plus virulentes est celle d’un jeune auteur de la sélection, Sergio Blanco : 45’. Elle maintient un état de tension grandissant. Ce huis clos se déroule en partie dans une salle de tir au sous-sol d’un club spécialisé pour tireurs d’élite. L’univers est exclusivement masculin, le destin des femmes semble d’être tuées par ces balles. Les personnages se divisent en serviteurs d’armes ou bien en hommes de pouvoir. Ainsi, deux co-présidents d’une multinationale ont décidé de consolider leur empire par le mariage du fils de l’un et de la fille de l’autre. Mariage qui répugne à la jeune femme. Cette pièce aux forts accents shakespeariens bascule dans la tragédie. La salle d’armes se révèle être le lieu de tous les trafics, un endroit de haine et de mort. Le mariage déclenche la catastrophe pressentie depuis le début. Un père va perdre ses trois enfants, la jeunesse se massacrant ou se laissant massacrer par le pouvoir des pères. Dans cette lutte à mort, pour de l’argent, la vie humaine ne vaut plus rien, l’homme et la bête se confondent.
Ces pièces, très virulentes contre toute forme d’oppression, frappent fort là où ça fait mal, où ça fait violence. Mais si le monde va mal, la force de vie elle, semble inépuisable.
Uruguay
Écritures
dramatiques
d’aujourd’hui
Les auteurs :
álvaro Ahunchain, Sebastián Bednarik/ Verónica Perrotta, Sergio Blanco,
Raquel Diana,
Adriana Genta,
Carlos Liscano,
Mariana Percovich, Ricardo Prieto.
Les traducteurs : David Ferré,
Guy Lavigerie et Françoise Thanas.
Éditions Indigo
292 p., 18,80 €
Théâtre La résistance vitale
janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69
| par
Laurence Cazaux
Que dit le théâtre face à l’oppression ? Indigo publie un nouveau volume qui permet de découvrir huit dramaturges uruguayens contemporains.
Un livre
La résistance vitale
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°69
, janvier 2006.