Il est d’abord difficile d’affirmer que ce texte marque la naissance d’un écrivain tant l’univers de Robert Alexis offre un condensé de mondes déjà balayés bien des fois. On pense le motif un peu usé. Un jeune homme rencontre dans la rue un vieillard qui va lui raconter l’histoire de sa vie… « Les rides profondes trahissaient l’âge et les soucis mais les yeux clairs étaient emprunts d’une grande douceur. Je côtoyais l’un de ces êtres qui longent la vie sans réellement lui appartenir, et dont le rêve masque la plénitude des faits. » On entame la lecture en terrain presque trop connu, en se demandant où ce roman parviendra à puiser sa part de modernité.
Dans un pays qui n’est pas clairement cité certains patronymes présentent des consonances allemandes ou slaves, à une époque floue entre XIXe et XXe siècles, le lecteur suit l’histoire d’un jeune officier qui tombe amoureux d’une femme mystérieuse. Cette dernière l’entraîne dans une villa où se jouent de curieux rituels sexuels. Le père de Rosetta réunit en effet ici des hommes et des femmes pour leur montrer « le seul chemin capable de leur révéler ce qu’ils sont vraiment… L’orgueilleux devra ramper comme un chien, on le mènera en laisse dans le parc, il pissera en levant la jambe, on lui jettera des pierres s’il aboie trop fort. Cette femme frigide dont le mari se plaint jouera le rôle d’une parfaite catin. Je la forcerai à caresser autant de sexes mâles qu’il s’en trouve dans une soirée comme celle-ci ! »
Au centre du texte apparaît bientôt une robe, objet plein d’une histoire incroyable pendu derrière la vitrine d’un vieux tailleur. « La vitrine poussiéreuse s’ornait d’une longue robe rouge posée hâtivement sur un cintre. Je dépassais cette misérable échoppe quand je me sentis soudainement obligé de rebrousser chemin. » La personne à qui le vêtement était destiné est morte juste avant de pouvoir le porter. Ce qui compte plus que l’objet ici, c’est la rencontre du héros avec cette robe, la fascination trouble qu’elle exerce tout de suite sur lui. C’est ici finalement que le roman puise sa force et sa capacité à investir notre présent. La robe fait basculer définitivement le roman car elle est, pour le héros, l’objet fantasmatique par excellence, et l’outil qui lui permettra de réaliser un rêve très ancien.
La Robe est un roman climatique. Le texte possède également la plupart des atours du roman fantastique. Même si rien ne franchit ici la frontière du réel, La Robe offre un certain nombre de prédispositions manifestes, notamment des ambiances et des personnages brumeux. Mais rien ne déborde du cadre de la réalité. À l’instar d’un Claude Louis-Combet c’est peut-être ici leur seul point commun, le fantasme est à l’œuvre à chaque page et c’est ce dernier qui porte le texte, le dirige, semble lui donner sa matière. « Tout cela formait une pente contre laquelle il me paraissait inutile de résister. Je me persuadais avoir suivi la seule voie possible ; il me suffisait simplement d’obéir à ce que mes désirs et mon instinct commandaient. »
La réussite ici tient aussi à la forme du roman, ramassé et presque sec ; l’action progressant la plupart du temps par courts paragraphes laisse la place suffisante au lecteur pour qu’il puisse s’y introduire. Il y a aussi un paradoxe entre cette petite centaine de pages et la densité du contenu proposé. La Robe offre en effet une subtile réflexion sur l’identité sexuelle de chaque être humain en filigrane, un petit catalogue de frustrations et d’interrogations sur le sujet, autrement dit la trame d’une réflexion bien contemporaine.
La Robe
Robert Alexis
José Corti
128 pages, 14,50 €
Domaine français Faux-semblant
février 2006 | Le Matricule des Anges n°70
| par
Benoît Broyart
Sans grands effets, Robert Alexis livre avec « La Robe » un roman étrange et moderne sur la question de l’identité sexuelle.
Un livre
Faux-semblant
Par
Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°70
, février 2006.