À travers l’histoire de Leonid Shertov, un ancien agent du KGB passé à l’Ouest, Chaïm Potok dresse une histoire implacable de l’antisémitisme en Russie et en Union Soviétique. Aux États-Unis pour y donner des conférences, Shertov croise une étudiante qui le pousse à écrire sur son passé. Peu de temps après, l’ex-agent a couché sur le papier sa vie de soldat pour le tsar et de tortionnaire pour le renseignement communiste. Des phrases courtes exposent les faits. L’écriture est directe, sans atermoiements et sans apitoiement. Shertov ne se plaint pas, il décrit. La fusion entre le personnage et son discours est totale. Jamais Potok n’intervient en tant que narrateur et laisse le lecteur seul face au monstre. Froidement, Shertov narre son ascension dans l’appareil répressif. Juif ukrainien, il n’a aucun remords lorsqu’il s’agit de faire avouer des crimes imaginaires à ces coreligionnaires : « J’avais affaire à des ennemis du peuple, des porcs ». Lorsque Staline, au comble de la paranoïa, fait arrêter ceux qu’il encensait quelques temps plus tôt, il ne cille pas : « C’est dans l’indifférence que j’assistais à l’arrestation des membres du Comité antifasciste juif qui était allé en Amérique ». Victime de l’antisémitisme tsariste : « C’était à cause des Juifs que les Allemands remportaient des victoires en Pologne », il ne comprend pas que Staline envisage les mêmes horreurs : « Tôt ou tard, il achèvera ce qu’Hitler a accompli ». Seule la mort du Petit père des peuples le sauve d’un scénario catastrophe. Maintenant à l’abri, à l’Ouest, Shertov vit avec le regret de son aveuglement. Sa conversion à la démocratie est soudaine, mais profonde. Le décès dans les geôles staliniennes du médecin juif qui l’a autrefois sauvé l’a convaincu. Sur ces lèvres, un seul mot, « Proschay », pardon.
Le docteur Rubinov de Chaïm Potok
Traduit de l’américain par Martine Leroy-Battistelli, 10/18, 150 pages, 6,90 €
Poches Le dernier pardon
février 2006 | Le Matricule des Anges n°70
| par
Franck Mannoni
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Par
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