Parce qu’elles ne peuvent s’incarner, parce qu’elles sont comme un vide creusé au vif de l’enfance, certaines douleurs anciennes continuent de harceler l’adulte hanté par des scènes tragiques aux images occultées. Au-delà de la barbarie, des massacres, la guerre d’Algérie, période noire de l’histoire contemporaine, pèse sur les consciences de tout le poids du refoulement, de la censure des mémoires qu’elle a suscités de part et d’autre de la Méditerranée. C’est cette part obscure qu’explore Maïssa Bey dans Entendez-vous dans les montagnes…, livre bref, concentré à l’extrême, qu’elle a publié aux Éditions de l’aube en 2002 et qui reparaît en poche. Le récit met en scène deux femmes et un homme dans un train qui roule vers la cité du Vieux Port, jamais nommée. L’une des trois protagonistes a fui son pays, l’Algérie, pour échapper au face à face entre les groupes islamistes qui terrorisent le pays et le pouvoir algérien. Quarante ans auparavant son père, un instituteur engagé pour l’indépendance de l’Algérie est mort sous la torture infligée par des militaires français. Officiellement, il a été tué en tentant de s’échapper du camp où il était retenu. Mensonges. Silences.
Dans le compartiment, face à cette femme, le hasard a placé un médecin retraité qui a fait son service en Algérie dans la bourgade et l’année même où a eu lieu cet assassinat. Irriguée par leur conversation lacunaire, les pensées enfouies, une vérité se dessine. Leur voisine, la jeune Marie, petite-fille de Pieds-Noirs, essaie d’en saisir des bribes. Peut-être aura-t-elle réalisé, elle aussi, que loin des cauchemars des enfants, « les bourreaux ont des visages d’homme ».
Entendez-vous dans les montagnes…
de Maïssa Bey
Éditions de l’aube, « poche », 77 pages, 6 €
Poches Féroces soldats
février 2006 | Le Matricule des Anges n°70
| par
Jean Laurenti
Un livre
Féroces soldats
Par
Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°70
, février 2006.