La réalité est-elle ailleurs ? interroge ce roman ou alors Olivia Kidney est-elle sur la pente descendante d’une folie douce, comme semble le diagnostiquer la psychiatre de l’école ?
Fragilisée par le divorce de ses parents et le départ de sa mère, Olivia n’arrive pas à faire le deuil de la mort récente de son frère aîné atteint d’un cancer. Brinqueballée d’immeuble en immeuble par son père concierge, la jeune fille perd peu à peu tous ses repères. À peine installée dans l’Upper Side de New York, elle égare les clés de son appartement et se retrouve à la merci du monde extérieur. « Je suis enfermée dehors », déclare-t-elle. Elle part à la recherche de son père, probablement en train d’effectuer une réparation chez un voisin. À partir de cet instant se produit une conversion du regard de l’héroïne sur le monde qui l’entoure : l’univers est hostile et violent, parfois ubuesque. Olivia est à la merci des dangers de la vie. Au gré de ses rencontres avec les voisins, elle vit durant toute cette journée des aventures extra-ordinaires et anachroniques. Bref, le lecteur manque de perdre le nord dans cet univers labyrinthique mais suit un fil rouge, son héroïne, dont les ressources imaginaires foisonnantes sont passionnantes.
Mais ceci n’est que l’arbre qui cache la forêt. La réalité d’Olivia est si indésirable et tragique qu’il lui faut la contourner coûte que coûte. Elle ne sait que faire de ce savoir de la mort d’un être cher. Elle sait désormais le tragique mais ne peut le supporter. Sa tragédie à elle, c’est la solitude. « Sa solitude était comme un cri qui n’aurait produit aucun son. La nuit, elle faisait de mauvais rêves dans lesquels elle pouvait crier tant et plus sans que le moindre son ne sorte de sa bouche. Et quand elle se réveillait, elle criait vraiment, mais comme il n’y avait personne pour la rassurer, c’était exactement comme si elle n’avait pas crié ». Pour Olivia, tout revient au même et la partie est perdue d’avance. Elle est vulnérable et son désir de sécurité nie la réalité.
Pour la jeune fille, c’est l’inspection de son esprit qui est désormais la réalité. Elle va jusqu’à chercher à prendre contact avec son frère mort en pratiquant des séances de spiritisme. Cette question de la vie après la mort est longuement explorée dans le roman au travers de la présence récurrente de personnages fantomatiques ou apparaissant tels, à savoir, sortis de la nuit des temps. Olivia finit par se faire une opinion : les morts sont morts et se taisent à jamais.
Les fabuleuses aventures d’Olivia sont autant d’idées anti-tragiques, anti-perceptives qui lui sont nécessaires et qui la sauvent de la folie. Elles contribuent à l’effort mental, philosophique et moral pour accepter ce qui est.
Une image symbolique représente le moment crucial de l’histoire et qui, paradoxalement, paraît bien anodin comparé à la richesse des événements passés, lorsqu’Olivia retrouve enfin son père et qu’elle remarque, attaché à sa ceinture, un trousseau sur lequel est accroché le jeu de clés de sa fille. À ce moment, Olivia bascule dans une autre réalité. En elle quelque chose change. Elle entre dans un autre monde, celui de ce qui est « apparent ».
La construction vertigineuse du roman emprunte à divers genres littéraires. En mêlant le récit d’aventure, le récit fantastique, la mythologie, le conte, des références à l’Histoire contemporaine, Ellen Potter restitue avec force le parcours mental sinueux de son héroïne dont les logiques particulières procédant par associations d’idées (une histoire en appelant une autre) s’avèrent en définitive salvatrices et bienfaisantes.
Olivia Kidney
Ellen Potter
Traduit de l’américain par Nathalie
M.-C. Laverroux
Seuil
134 pages, 10 €
Jeunesse Le réel et son double
mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71
| par
Malika Person
Dans un premier roman vertigineux, Ellen Potter relate la virtuosité avec laquelle une préadolescente infléchit la réalité à l’illusion pour échapper à la mort.
Un livre
Le réel et son double
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°71
, mars 2006.