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L'Anachronique Des origines de la scoumoune

mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71 | par Éric Holder

Il m’arrive de lire des manuscrits. Ce n’est pas mon métier, personne ne me rémunère pour cela. Je me hâte de préciser, compte tenu de ce qui va suivre, que je ne me sens pas astreint au devoir de réserve dont font preuve mes confrères, avec une discrétion qui les honore et qu’il est vain de me faire parvenir un texte. Tous ceux que j’ai soumis à la publication se sont soldés, pour une raison ou pour une autre, par une mésaventure éditoriale. Sans doute y suis-je pour quelque chose, mais, faute de savoir exactement en quoi, je déconseille d’ajouter une preuve à l’existence, en la matière, d’un fatum plombé. Ce dernier s’apparente, par un lointain cousinage, à la malédiction qui, dit-on, frappe les traductions du polonais en américain (il faudrait en passer par le français, si l’on veut éviter l’échec), ou, dans le domaine théâtral, les adaptations de Mademoiselle Julie, de Strindberg, par des couples mariés (lesquels se défont).
Le premier « roman » d’Antoine Pezner se signalait à l’attention du lecteur d’occasion par une lettre liminaire remarquable de simplicité. Antoine travaillait dans une pizzeria sur la Côte d’Azur, le cachet de la Poste en faisait foi, ou plutôt sa flamme, ornée de mimosa. Des pages reliées qui suivaient, il ressortait que l’auteur avait passé son enfance à Paris longues évocations inutiles. Son premier rendez-vous amoureux avec une fille s’était bizarrement conclu dans un urinoir, où un homme avait abusé de lui mais en quelques phrases seulement, sans qu’on puisse déduire ce qui l’avait emporté, de l’épreuve ou de la découverte. Ses parents habitaient un réduit au sixième sans ascenseur. Il ne les accusait pas d’être né, même si l’on apprenait ici aussi, en un trop petit paragraphe que son père, las d’avoir engendré un cancre, avait brutalement privé ce dernier de la paillasse où il avait dormi, seize ans durant, sous l’évier amovible. Antoine Pezner n’était pas plus rancunier envers le mécanicien qui l’avait ensuite employé dans son atelier pourri, sans égard pour l’horaire, les dimanches, et ne parlons pas des vacances. Ces trois points forts étaient hélas noyés dans du beau gris euphémisme, dans la langue des maquettistes, pour désigner un texte qu’on survole, entre les images. Antoine écrivait comme un enfant, mais n’était plus naïf. Quand le verdict tomba d’en haut, après une autre lecture (c’était impubliable), je ne pus me résoudre à n’envoyer qu’une lettre-type. J’ignore ce qu’un lecteur patenté lui aurait suggéré. D’exploiter son malheur ? Je ne parvins qu’à lui écrire « Il y a quelque chose ». J’argumentai, et signai d’un patronyme d’emprunt. Après tout, Pezner aussi était un nom de plume.

 C’est toi qui a aimablement répondu à ce garçon ?
On me tendait, six mois plus tard, un nouveau manuscrit. J’en aurais été le déclencheur involontaire, selon la lettre jointe. Trois cents feuillets évoquaient à présent les « amis » du narrateur. Ils appartenaient à une catégorie de personnes qu’on rencontre en hiver près des rivages, subsistant difficilement, et qui, pour paraître désœuvrées, n’en nourrissent pas moins l’œuvre à venir cinéma, peinture, théâtre… Cyril Connolly, dans son unique roman, Marée basse, a donné une idée de ces passions qui s’exercent autour d’infimes malentendus, entre initiés, auprès de cheminées dont on s’enorgueillit de connaître les adresses, quand le mistral commence à souffler. La constante étonnante, chez Antoine Pezner, était d’admirer longuement de parfaits salauds, lorsque les individus bienveillants notamment « Anne », la patronne de la pizzéria, qui ne lui fournissait du travail, malgré ses retards, ses excuses vaseuses, etc., que pour le mettre à l’abri étaient exécutés en deux traits cinglants. Second paradoxe, ces quelques lignes assassines, à chaque fois, formaient ce que l’auteur écrivait de meilleur, comme si le style naissait dans les sursauts de son orgueil déplacé, en claquant la porte au nez des gentils. Vers la fin, nous apprenions, presque incidemment, qu’Antoine Pezner avait un enfant un fils, âgé de trois ans, qu’il élevait seul, dans des conditions difficiles. Antoine Pezner avait un fils !
Le premier mouvement fut, je ne sais pas, de se rendre dans ce village un peu connu mes parents habitent à proximité, de commander une quattro stagioni et de laisser trois cents euros de pourboire. Le deuxième fut d’écrire, après des circonlocutions : Est-ce que vous ne vous trompez pas, je veux dire, dans la vie ? Nous croyons comprendre nous, lecteurs que des personnes vous aiment. Est-ce que ce n’est pas un peu (arrh, raclements de gorge) périlleux ? de confier votre destin à d’autres, qui vous aiment moins ?
La réponse ne tarda pas à venir. « Qui êtes-vous, monsieur Robichon (tel était mon pseudonyme), pour me dicter une conduite ? De quoi vous mêlez-vous ? Je veux dire : votre travail consiste à lire des manuscrits, point-barre. La seule chose que je vous demande, c’est : vous l’éditez, ou pas ? » Je me dépêchai, en rougissant, d’expédier l’habituelle lettre de refus.

 Ce type est un graphomane.
L’éditeur extirpait de son courrier, trois mois plus tard, une volumineuse enveloppe en provenance du Sud-Est. Monsieur Robichon en prenait pour son grade. En vérité, il constituait même le nœud central, la pierre d’achoppement autour desquels tournait le roman, devenu une incarnation de l’imbécillité un peu comme Cripure dans Le Sang noir, de Louis Guilloux et c’était bien meilleur que ce qu’Antoine Pezner avait soumis auparavant.
Il avait vu que, dans notre partie peut-être dans d’autres ? tout est écrit, et tout fait ventre. Je ne sache pas que le manuscrit ait été publié ailleurs. Cela n’aurait pas été ici, je le répète, un service à lui rendre. J’ignore cependant si son auteur pardonnera, à son tour, d’avoir fourni de la matière.

Des origines de la scoumoune Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°71 , mars 2006.