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Poésie Transports d’ombre

avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72 | par Lucie Clair

Sous les pas nocturnes d’un poète disparu s’ouvrent les pistes d’une reconnaissance aux allures de chant d’amour. Un hommage à Ghérasim Luca, par Sereine Berlottier.

Nu précipité dans le vide

Ce n’est pas un roman, malgré ce qu’en dit la couverture, ce n’est pas un poème, c’est tout cela à la fois et, « comme le désir de chuchoter (…) sous le drap », un mouvement d’amour timide et qui se dit maladroit alors qu’il est si juste de savoir assumer sa gaucherie, si clair et si direct dans sa jeunesse. Ce premier ouvrage est l’approche, profondément respectueuse et aimante, par une jeune femme (Sereine Berlottier est née en 1971) d’un vieil homme, d’un poète, d’un mort autant dire d’une statue qu’elle ramène à la vie par ce pouvoir-là du cœur patient. Le poète est Ghérasim Luca, né en 1913 en Roumanie, figure des années cinquante en France, proche des surréalistes sans qu’il n’ait jamais rencontré Breton, poète inclassable pour beaucoup, revêche et difficile d’accès pour d’autres. Poète du bégaiement, de la langue aux rythmes scandés, au seuil de laquelle la narratrice hésite. Elle achète et ouvre les livres, les referme. « Chaque son, chaque mot, comme on parcourt une grotte sombre, peuplée d’échos, de bondissements, de froissements laineux et obscurs. On ne voit rien, on écoute. On ne cherche pas à comprendre. On est rebonds parmi les rebonds, surface parmi les surfaces, joue frôlée par les ailes noires. C’est peut-être la peur et c’est peut-être le rire aussi. C’est peut-être le fou rire qui coupe le souffle, et l’angoisse qui coupe le souffle. C’est peut-être la colère qui broie les poumons, l’incandescence. C’est peut-être que chaque mot brûlera sur pied avant d’atteindre son terme, et toutes les récoltes de phrases flamberont à peine versées dans l’air, et tout sera à reprendre, oui tout sera indéfiniment à recommencer. » De la lecture, de la fréquentation des archives, des photos, du film de Raoul Sangla, de ces images mortes, n’advient aucune force de connaissance, et parce qu’il faut éviter à tout prix la biographie, qui « n’éclaire pas l’œuvre, n’éclaire pas l’œuvre de face en tout cas, seulement parfois sème ombre de poignard dans le dos », la démarche procède avec lenteur, avec circonspection, dans l’attente que cette rencontre s’opère au-delà de la simple volonté, du désir, des fantasmes.
Attente de cette femme face à la silhouette qu’elle entrevoit, côtoie, quitte et retrouve là où elle l’a laissée. Attente d’un moment où l’autre, celui qu’elle guette sans le connaître vienne à elle dans la pure alliance du rêve. Pour faire pièce aussi à « cette sensation accablante de regarder un absent, un dérobé… » et que, par la grâce du souffle, ce qui pourrait n’être que « répéter le signe d’une rencontre manquée », devienne une rencontre parfaite. Peu à peu l’attente se transmute en voyage, mais dont « le poète n’est pas la destination, pas le but, pas le rivage, seulement la vague, le nœud, le mouvement, le transport,/ elle voyage dans le poète,/ loin de toute vérité, tout désir de connaissance, toute intention ». Et c’est par ce renoncement que naît la prise de parole, qui délivre à son auteur ce qu’elle revendique dès les premières pages, le droit de dire les traces de l’autre, « un droit qui naîtrait du savoir, de l’amour ou de l’admiration. »
Sous les mots de Sereine Berlottier, dans le prolongement du recueil Levée d’écrou ensemble de lettres envoyées au hasard par Luca deux ans après son arrivée en France naissent les dernières heures du poète à la mémoire écorchée, qui se disait apatride plutôt que de vouloir envisager un retour, celui pour qui « tous les rapports avec le prochain ne sont que voies d’approche », qui voulait « (…) marquer /d’un rire sec d’alarme/ le mot qui dévore », et qui restait, du fond de sa colère, en harmonie avec « la possibilité d’une étreinte douteuse écartant jusqu’au tréfonds un être libre d’un être libre ».
Livre construit comme une boucle, Nu précipité dans le vide l’accompagne, alors qu’il quitte son atelier et marche la nuit dans Paris, jusqu’au pont d’où il se jettera dans la Seine, se murmurant les mots de Paul Celan, cet autre poète roumain qui choisit la même fin. Le corps de Ghérasim Luca fut retrouvé le 10 mars 1994. En 1995 sortait son dernier recueil Le Cri aux éditions Au fil de l’encre. Toute son œuvre est aujourd’hui disponible chez José Corti.

Lucie Clair

Nu précipité dans le vide
Sereine Berlottier
Fayard, 182 pages, 12

Transports d’ombre Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°72 , avril 2006.
LMDA PDF n°72
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