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Domaine étranger Les clochards célestes de Bolaño

avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72 | par Dominique Aussenac

L’œuvre majeure de l’écrivain chilien, « Les Détectives sauvages », monumentale caisse de résonance de sa propre vie, s’étire sur trois continents et deux décennies. Y palpite un chant rimbaldien.

Voilà quatre ans que les livres de Roberto Bolaño sont publiés en France, laissant le lecteur à chaque nouveauté aussi perplexe qu’enthousiaste. Chacun cherche son titre de référence : La Littérature nazie en Amérique ? Étoile distante ? Nocturne du Chili ?ou encore le très bref Amuleto ? Les uns assurent que 2666, somme conséquente en passe d’être traduite, contient l’œuvre maîtresse. D’autres attendent son premier ouvrage au titre prometteur, Conseils d’un disciple de Morrison à un fanatique de Joyce. L’énorme Détectives sauvages pourrait bien mettre tout le monde d’accord, autant sur le fond que sur la forme.
D’abord, parce qu’il balaie une période allant de 1975 à 1996 qui correspond pour Bolaño comme pour son héros au passage de l’adolescence à l’âge adulte, en quelque sorte d’un rêve flamboyant à la confrontation à une réalité bornée. Basé sur des faits autobiographiques séjours au Mexique, voyages en Europe et en Afrique, il dévoile un nouvel hétéronyme, Arturo Belano. Ensuite, parce que d’autres romans se satellisent autour des Détectives, instaurant un dialogue ainsi qu’une relation holographique. On retrouve ici le personnage d’Auxilio Lacouture, cette mère des poètes, héroïne d’Amuleto qui assiste à l’invasion de la faculté de Mexico par les forces de police, prostrée sur un trône de chiottes. L’épisode africain, où le héros suit des correspondants de guerre au Libéria fait écho à une nouvelle des Putains meurtrières. Ce qui fait dire à Robert Amutio, traducteur de Bolaño, que Les Détectives sauvages offrent une « sorte de portrait fractal ». Avis que renforce la forme même du roman composé de trois parties coupées de manières inégales et abruptes. La première et la dernière, composées d’extraits d’un journal intime, enserrent une sorte d’énorme cahier de dépositions. Dans ce dernier sont consignés des témoignages sur une poétesse quasi-inconnue Césarea et deux « clochards célestes » Arturo Belano et Ulises Lima. Chaque fait révèle tout un écheveau d’histoires que complètent, recoupent les différents témoins. Histoires dont les dénouements importent finalement peu, mais dont le résumé s’avère ardu.
La première partie intitulée « Mexicains perdus à Mexico », datée de 1975, décrit la découverte du monde, de la poésie et du sexe par un jeune homme de 17 ans, Juan Garcia Madero. Il rejoint les tenants d’un courant poétique underground, le réalisme viscéral. Ses deux chefs de file sont Arturo Belano et Ulises Lima, poètes grandes gueules et petits trafiquants. Avec eux, l’adolescent entreprend d’affranchir une jeune prostituée, Lupe, de son maquereau. Pour y parvenir, ils empruntent une somptueuse voiture américaine, une Impala et foncent vers le désert. Le ton est enthousiaste, un souffle épique balaie la route.
La deuxième partie (1976-1996), au titre éponyme, nous mène dans les pas de Césarea, Belano et Lima sur trois continents (Mexico, Barcelone, Collioure, Rome, le Libéria). Leurs pérégrinations sont consignées sous forme de dépositions par des témoins que souvent seuls la poésie et l’art rapprochent. Dépositions faites non pas à un policier, mais à un agent mémoriel inconnu, peut-être un ange ? Parmi ces témoignages, on retiendra celui d’Amadeo Salvatierra, un vieil homme lettré, ravi de recevoir des jeunes gens qui le questionnent sur la poésie mexicaine. Ils évoqueront, tout en vidant quelques bouteilles, la mystérieuse Césarea… La plupart des personnages présents dans la première partie, transis de poésie, révolutionnaires en avance d’une révolution apparaissent ici, vingt ans plus tard, vivant dans un univers aseptisé et friqué, toujours liés à un art dont ils n’approchent maintenant que la valeur marchande. Une douce et sombre mélancolie empreint cette partie du récit. À l’instar de ces peuples de l’océan Indien qui retournent les morts quand ceux-ci les appellent dans leurs rêves, Bolaño retourne les âmes, les confronte à leurs passés. Si son hétéronyme, Arturo Belano reste fidèle à lui-même, sa vie sentimentale apparaît bien pathétique et crépusculaire. Il tombe fou amoureux de femmes qu’il perd peu à peu. Folie, insécurité matérielle, peur de la routine, soif d’aventures détruisant le couple, mais pas l’amour.
La dernière partie du roman (1976) boucle la première. Retour au désert, dans lequel les « clochards célestes », Lupe, la prostituée et le jeune narrateur s’enfoncent pour échapper au maquereau et retrouver des traces de Césarea. Césarea n’est au départ qu’une intuition, un désir, qui peu à peu se matérialiseront. Les quelques vers laissés avant de fuir renverront à une histoire, un corps. Le corps du poème ? Non. Le corps et l’âme de la poétesse. Il y aura des morts violentes, de vraies fausses révélations. Le livre se termine sur des dessins de carrés et cette devinette insidieuse : « qu’est-ce qu’il y a derrière la fenêtre ? » Et laisse alors une sensation à la fois amère et douceâtre.
Bolaño travaille le réel, la mémoire, les malaxe, en fait une pâte, un métabolisme qui devient peu à peu réalité poétique. Il substitue une réalité faite de tous les possibles mais intrinsèquement tragique par l’instauration d’une autre réalité, lieu d’une palpitation, proche de celle de Rimbaud, d’une idée d’éternité. Tout en assurant une certaine continuité avec Borges ou Cortazar, Roberto Bolaño amène une rupture formelle et propose une nouvelle planche de saut sur laquelle il refait de la poésie la matière première d’une nouvelle littérature, d’une nouvelle exigence dans le rapport au réel et à la fiction.

Les Détectives sauvages
Roberto Bolaño
Traduit de l’espagnol (Chili)
par Roberto Amutio
Christian Bourgois
880 pages, 28

Les clochards célestes de Bolaño Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°72 , avril 2006.
LMDA PDF n°72
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