Sangati se lit moins comme un roman que comme un documentaire : dans une langue rugueuse, Bama raconte, par l’intermédiaire d’une jeune narratrice issue de la caste des intouchables, la vie d’un village tamoul. Élevée par Vellaiyammâ, une grand-mère charismatique, la jeune fille observe ses compatriotes et s’insurge contre les violences faites aux femmes, qui sont le sujet, quasi unique, de ce livre. Dans cette partie de l’Inde comme dans le reste du pays d’ailleurs les femmes sont victimes de la domination sexuelle, religieuse (par l’intermédiaire de prêtres pas toujours irréprochables) économique et morale des hommes. La brutalité physique est quotidienne : cheveux arrachés, corps martyrisés… souvent sous les yeux des parents, impuissants ou eux-mêmes résignés devant le mari. Les quelques rares épouses qui ont tenté de divorcer celles d’entre elles qui ne sont pas chrétiennes, car l’Église empêche encore les séparations entre époux ont été en butte à une hostilité masculine générale. Les castes les plus hautes ne sont pas épargnées, comme l’exprime cette image populaire « dans pompeux chignon orné de fleurs, poux et lentes se nichent en chœur. » Sangati cependant ne semble pas résignée, puisant dans l’écriture la force qui pourrait faire évoluer les mentalités. Quittant souvent le terrain romanesque, elle argumente, au présent : « Nous devons vivre en femmes libres, animées de fureur. Nous devons le montrer en vivant indépendantes, avec ténacité. Face au désespoir, nous ne devons pas nous affliger en invoquant le destin. »
À lire le récit qu’elle fait d’une population encore souvent illettrée, partagée entre un christianisme fruste et des superstitions locales, on mesure avec un peu d’effarement tout le chemin qui reste à faire.
Sangati de Bama - Traduit du tamoul par Josiane Racine, Éditions de l’aube, 168 pages, 7,80 €
Poches Irréductible féminisme
avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72
| par
Delphine Descaves
Un livre
Irréductible féminisme
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°72
, avril 2006.