L’ouvrage est volumineux avec le fort grammage du papier et son cahier iconographique en quadrichromie, dont on regrette qu’il soit un peu court. On y trouve répertoriées en fin de volume, les 240 publications des défuntes éditions Unes, qui ne sont pas aussi mortes cependant qu’il y paraît.
Pour le reste, on suit, durant 230 pages, l’histoire de la maison d’édition créée par Jean-Pierre Sintive, grâce à un choix de correspondances entre l’éditeur et ses auteurs. Plus précisément, on ne lit que les lettres envoyées par les auteurs ou artistes et cela nous place un peu, en tant que destinataires, dans la peau de l’éditeur. Une sensation plutôt plaisante vu la qualité des écrivains et des plasticiens hébergés dans le catalogue de Unes.
C’est une bonne idée qu’ont eue Benoît Lecoq, directeur de la bibliothèque et Jean-Pierre Sintive. Car un tel catalogue pour accompagner l’exposition qui se tient jusqu’au 27 août à Nîmes n’est pas seulement un bel objet. L’éditeur aurait aussi bien pu présenter un catalogue rehaussé d’illustrations, sur beau papier et la messe (avec requiem) était dite. L’idée d’aligner, par ordre chronologique, une sélection des courriers d’auteurs reçus, permet en fait de mieux faire ressentir un esprit de Unes et, surtout, d’illustrer et défendre une certaine forme d’édition. Nous sommes loin des marchands de papier, des industrieux qui convertissent un auteur en droits à payer, en bénéfices ou en manque à gagner. Ici, on parlera de textes, de traduction, d’intervention plastique, de police de caractère, d’amitié, de maquette, de tirage de tête, d’amitié, de coquille, d’émotion, d’amitié, de poésie, d’amitié, d’amitié, d’amitié.
C’est Jean-Louis Giovannoni qui inaugure par un poème la partie correspondance : son Visage volé est le premier livre publié par Unes en 1981. Pourtant les premières lettres datent d’avant : Bernard Lamarche-Vadel, en février 1978, répond à une sollicitation du futur éditeur qui a tout lu de lui. Jean-Pierre Sintive, né en 1955, est alors instituteur. Il court les librairies, les bouquinistes, s’enthousiasme pour la poésie, la peinture. Il achète du papier et une vieille presse après avoir commencé à faire des livres manuscrits sur la presse Freinet de son école. Son premier livre, sous le label Tutti Frutti, propose un fragment d’entretien entre Banana Split et Orange Export et est tiré à neuf exemplaires (!). Avec la presse achetée, la maison d’édition peut commencer : profondément touché par sa lecture de Garder le mort, Sintive contacte Giovannoni et pousse le poète à se remettre à l’ouvrage après dix ans de silence. Suivront, entre autres, Larmache-Vadel, Margat, Noël (très présent dans la correspondance), Juarroz, Piekarski, Bureau de tabac de Pessoa qui marquera l’histoire de Unes, Valente, Jourdan, Benhamou, Paul Auster que Unes publie avant même Actes Sud… Un catalogue impressionnant constitué par un grand lecteur. C’est ce qui ressort, immédiatement, des deux cents courtes lettres (sur les 12 000 qu’il a conservées !) qu’on lit ici. C’est, le plus souvent, après avoir lu et bien lu un auteur, que Sintive le contacte et lui propose de faire un livre. Démarche d’esthète et de collectionneur.
La belle entreprise éditoriale, hélas, s’est terminée dans « le carnage » : le 30 mai 2002, l’éditeur reçoit une lettre de son distributeur, Les Belles Lettres : « Je suis navré de vous annoncer qu’un incendie s’est déclaré hier soir 29 mai dans nos entrepôts de Gasny. » Tout le stock a brûlé. Le 29 mai 2002, les éditions Unes sont mortes. Sintive n’a pas pour autant abandonné l’édition au profit de la pétanque, comme il l’avait annoncé. Il publie aujourd’hui les mêmes auteurs qu’hier ou à peu près. Il les associe aux mêmes plasticiens. Mais chaque livre (22 titres déjà) est tiré à une trentaine d’exemplaires sur lesquels le peintre intervient lors d’une lecture rencontre avec l’auteur. Ça se passe dans la galerie Remarque que dirige sa compagne à Trans-en-Provence, sous le soleil exactement.
Éditions Unes en toutes lettres, Carré d’Art Bibliothèque, 286 pages, 30 € - Exposition jusqu’au 27 août Carré d’Art à Nîmes rens. 04.66.76.35.03 ; Galerie Remarque 2, place de l’Hôtel de ville 83120 Trans-En-Provence rens. 04.94.84.54.72.
Poésie Une histoire d’Unes
juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75
| par
Thierry Guichard
Pour accompagner l’exposition, la ville de Nîmes publie un très beau catalogue. L’édition est précieuse quand elle est exercée par un véritable éditeur.
Un éditeur
Une histoire d’Unes
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°75
, juillet 2006.