James Sacré, la poésie au cœur
Depuis qu’il est revenu des États-Unis où il a vécu plus de trente ans, James Sacré (prononcez « Jame », à la française) ne cesse d’être invité ici ou là, en France. Comme si les librairies, les bibliothèques, les associations culturelles voulaient rattraper le retard imposé par l’exil professionnel du poète. C’est que, depuis qu’il publie, James Sacré a nourri la réflexion et l’écriture de pas mal de ses pairs. Pourtant sa poésie est tout sauf revendicatrice, elle ne porte aucune oriflamme et ne s’érige surtout pas en modèle. C’est, au contraire, une poésie presque balbutiante, qui colle au plus près d’un langage originel. Une poésie qui s’avance si peu sûre d’elle qu’elle est la première à se mettre en doute. En même temps, c’est une poésie qui a retenu les leçons de l’histoire littéraire, appris la rhétorique des baroques, une poésie qui se méfie des élans romantiques ou surréalistes. Une poésie qui ne veut pas se raconter d’histoire. Une œuvre, écrit l’auteur dans Ma guenille « qui ressemble peut-être, plus que je crois, au petit sac de plastique noir que le mendiant assure d’un geste un peu trop fort sur son épaule étroite. »
Qu’est-ce qui fait que pourtant ces poèmes (en vers ou en prose) accrochent, laissent au cœur la trace de leur passage ?
Les trois livres parus au seuil de l’été n’apporteront pas de réponse : l’écriture interroge, et c’est un même mystère toujours qui s’écrit d’un livre l’autre.
Bien sûr, on aura beau jeu de souligner les thèmes récurrents, faire la liste des titres qui évoquent la ferme des parents, la campagne dans le sud de la Vendée : poèmes venus de l’enfance et de « quelque chose d’usé et de neuf en même temps. Comme une mémoire. Une mémoire qu’on s’est perdu dedans » (Si peu de terre, tout). Bien sûr, on notera la fréquence d’un « je t’aime » qui revient, surtout dans les premières publications. Poésie sentimentale qui vise à mettre au présent les soubresauts du passé.
Bien sûr, on notera l’émergence de la saleté, du scatologique, de la merde auprès de quoi la mort n’est pas loin : « ma mère écorche un poulet pendu à une barrière de bois, maison de pas grand-chose, le fumier/ Quasi devant la porte, et une fois tourné le mur du têt-aux-poules, l’endroit où je m’éloigne/ Pour aller chier. » (Broussaille de prose et de vers) : poésie de la matérialité. Et il faudrait aussi noter l’importance des voyages, les poèmes comme des travellings : « Au bord au milieu on saurait mal dire/ D’un paysage que l’auto a passé vite dedans ». C’est en fait, peut-être, face à une poésie épiphanique que se trouve le lecteur de James Sacré : rien de divin, mais, au contraire, un humain surgi de l’observation d’un paysage, d’une couleur, d’un détail. C’est ce que dit, magnifiquement, Une petite fille silencieuse, l’un de ses plus beaux livres, écrit autour de la figure de sa fille emportée par la maladie : « Le mouvement que fait dans la fenêtre tout un feuillage d’arbre/ Immobile à des moments, puis...