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Domaine étranger Erreur à conviction

juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75 | par Sophie Deltin

À partir d’un fait divers tragique, l’écrivain juif allemand Jakob Wassermann (1873-1934) dresse un réquisitoire implacable contre l’institution judiciaire dont se prévalent les hommes.

L' Affaire Maurizius

Inspiré par une sinistre erreur judiciaire qui ébranla l’Allemagne impériale du début du siècle, le roman de Wassermann écrit en 1928 repose d’abord sur une intrigue policière : Léonard Maurizius, accusé d’avoir assassiné son épouse et condamné à perpétuité, croupit depuis dix-huit ans en prison, quand Etzel Andergast, fils unique du procureur général qui a instruit l’affaire, décide, convaincu de l’innocence de l’accusé, de retrouver à Berlin un témoin-clef du drame, en vue de la révision du procès. Irréversiblement, les rouages de la machine s’enclenchent, révélant les intentions des protagonistes, jusqu’à sonder l’âme humaine dans ses recoins les plus insoupçonnés. Par-delà ce scénario, c’est bien une réflexion morale et philosophique sur la volonté de vérité, l’idéal de justice et le libre-arbitre qui se déploie, notamment dans l’antagonisme bientôt irréductible entre le jeune garçon et son père.
D’un côté, le juge Andergast, figure arrogante et inflexible, dont le rigorisme moral contribue à faire de lui un exécutant redoutable de l’ordre « pétrifié » de la justice. De l’autre, Etzel, le fils soumis et docile, n’en cultive pas moins une sourde colère, une haine même contre le dogmatisme et la sécheresse de cœur du père, d’autant que celui-ci l’a cruellement privé depuis le plus jeune âge de la présence et de l’amour de sa mère. Cet esprit de rébellion et d’indépendance du jeune adolescent contre toute forme d’injustice (« Cela me pénètre jusqu’aux moelles. J’en souffre dans mon corps et dans mon âme… » dit-il) trouve alors avec l’affaire Maurizius de quoi s’affirmer. Au risque d’ailleurs de se livrer à un jeu particulièrement malsain avec le ténébreux et démoniaque Waremme, sans doute le personnage le plus fascinant du livre. Précisément, qu’il s’agisse de Waremme, ce juif renégat converti au christianisme, au pouvoir effrayant de subjugation, ou de Anna Jahn, dont la beauté mélancolique est drapée tout au long du récit d’une aura impénétrable, c’est bel et bien à travers des personnages ambigus, complexes et en cela furieusement vivants que Wassermann parvient à donner des accents de vérité, âpre et angoissée, à son roman. Douloureusement pessimiste, l’auteur s’interroge surtout sur le système et l’appareil de justice dont se dote une société obnubilée par sa sécurité et le châtiment du coupable. Car que vaut une institution quand elle se réduit à un ensemble de procédures absconses et interminables, dont le raisonnement inébranlable, aveugle est dépourvu d’indulgence et de compréhension d’âme ? Magistrales sont à cet égard les scènes entre le procureur Andergast, désormais rongé par le doute, et Maurizius dans sa cellule au pénitencier de Kressa, où l’acuité psychologique du détenu est puissante à décrire les conditions terrifiantes d’humiliation lors de son procès puis en prison. De la part de l’auteur qui avait déjà lancé un cri de désespoir contre l’attitude de son pays à l’encontre des Juifs transformés en parias (dans Caspar Hauser, 1908), la charge contre tout ce qui se fait avec intransigeance et « paresse de cœur » est impitoyable. De surcroît, comment ne pas déceler derrière la volonté opiniâtre de justice, en l’occurrence celle de Etzel, le seul désir de vengeance ? La recherche de sa mère, dont le sacrifice injuste exige pour lui réparation, agit en effet comme l’aiguillon principal dans sa motivation. On peut alors se demander ce que signifie une justice qui sanctifie, en les camouflant, l’esprit de ressentiment et l’instinct de cruauté. Comme le remarque Henry Miller dans ses « Réflexions », la rage folle qui s’empare de Etzel à l’annonce de la grâce à défaut de la révision du procès de Maurizius, laisse deviner ce qui dans le deuxième volume de la trilogie (1930), apparaît comme son côté « maléfique » à l’image de toute une génération dont le désir de destruction morbide finira par s’exaucer avec l’avènement d’Hitler.
Dans cette analyse sévère et désenchantée, le personnage de Klakusch, un gardien de prison qui s’entretient souvent avec Maurizius, revêt un éclat particulier : incarnation de l’humilité de la conscience devant ce qui l’outrepasse, il diagnostique la faillite du système judiciaire et carcéral en ces termes : « Voilà le mal : quand un juge condamne, il condamne en homme un autre homme, et cela ne devrait pas être. (…) Un homme n’a pas le droit d’en juger un autre » (…) « Celui qui punit se ment à lui-même et s’imagine ainsi qu’il est sans péché. »
Souple, ample et sinueuse, la prose de Wassermann n’en finit pas de mimer le mouvement d’effondrement qui menace irrémédiablement les personnages. Car dans un univers où l’on ne peut se passer de l’injustice pour mettre fin à l’injustice la grâce judiciaire étant reléguée ici au rang de pâle reflet, de « grimace caricaturale » d’une grâce hautement plus décisive, radicalement autre parce que plus essentielle mais désespérément absente, ni paix ni réconciliation ne sont possibles. Et de fait, dans ce cycle interminable, les protagonistes sombrent chacun à leur façon, tous brisés, tous déchus parce qu’au fond, tous coupables.

L’Affaire Maurizius
Jakob Wassermann
Traduit de l’allemand
par Jean-Gabriel Guideau
Suivi de « Réflexions sur
l’Affaire Maurizius »
de Henry Miller
Traduit de l’américain
par Jean Guiloineau
Folio, 720 pages, 8,50

Erreur à conviction Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°75 , juillet 2006.
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