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Zoom Mélodie à trois voix

juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75 | par Lise Beninca

Assaillis de pensées qui les ramènent sans cesse au cœur d’un drame familial, les personnages du premier roman de Patrick Froehlich se livrent à un « monologue polyphonique » envoûtant.

Le Toison

Difficile de ne pas filer la métaphore musicale lorsqu’il s’agit d’évoquer le premier livre de Patrick Froehlich. Lorsqu’on l’interroge sur la forme singulière qu’il a donnée à ce roman, il parle aussitôt de sa sensibilité à certains chants de la Renaissance, « comme les joue l’ensemble Huelgas de Paul van Nevel dont l’interprétation est très contemporaine, très actuelle. Écoutez par exemple son enregistrement de la polyphonie à quarante voix composée par Thomas Tallis ». Si Patrick Froehlich s’en est tenu à trois voix pour son texte, c’est parce que c’était déjà suffisamment complexe ainsi. Il nous donne à lire un long flot de paroles où les « je » se substituent l’un à l’autre, se relaient, se répondent en une danse folle où la souffrance intérieure et intime, la difficulté de communiquer mêlée à la volonté désespérée de le faire, s’expriment par vagues successives. Il n’y a pas d’interruptions, pas de temps morts, excepté quelques retours à la ligne en cours de phrase, un jeu typographique qui évoque les plages blanches du non-dit. « Il y a des points qui sont des virgules molles, des virgules qui sont des points » explique l’auteur. Question de rythme. « Encore faut-il que le lecteur trouve sa musique ou alors c’est angoissant jusqu’à rejeter le livre. » Solos, duos, trios : Louis, Jeanne et Jean. Même partition, mais chacun son interprétation. « Je rêve qu’on lise le texte du point de vue de Louis ou de Jeanne, ou de Jean, selon sa sensibilité. »
Trois voix en une pour trois personnages en marge, livrés à eux-mêmes et liés les uns aux autres par une tragédie familiale devenue leur unique repère, un passé qui nourrit leurs rapports oscillant entre rancœur et chantage affectif. « Louis, réponds-moi, regarde-moi au moins, c’était reparti, parle, dis n’importe quoi mais parle, tu es complètement dérangé de la cervelle, c’est difficile si tu ne me parles pas, nous sommes tous détraqués de la cervelle, une cervelle familiale qu’on se transmet précieusement (…). » Jeanne et Louis sont frère et sœur. Jeanne est restée vivre avec Jean, son mari, dans la maison familiale, la Villa du Clos Fleuri. Louis vit seul dans une caravane au milieu des bois. Ses compagnons, ce sont un accordéon dont il cherche à tirer un air capable de guérir ses maux et les livres qu’il ne veut plus ouvrir mais auxquels il ne cesse de parler, ces livres, les bons comme les mauvais, rangés dans des boîtes en fer enterrées au pied des arbres, dans un ordre connu de lui seul. « (…) je suis le seul à comprendre cet univers de mes livres qui dépasse tous mes autres univers, de tous ces livres qui sont, qui étaient mon univers, qui m’ont plus enrichi que les quelques peaux nues qui se sont offertes frétillantes émoustillées à mes doigts, quoi de mieux que cette peau qui renferme un millier de pages d’une aventure qui dépasse tout ce qu’on a vécu au Clos Fleuri » (…) Parmi ces livres on trouverait sans doute ceux qui ont accompagné Patrick Froehlich lui-même, avant qu’il n’entre en écriture, et qu’il lui a peut-être fallu refermer pour faire entendre sa propre voix.
Le récit s’articule autour d’une date centrale : l’anniversaire de Jeanne. Louis viendra-t-il lui souhaiter, après tant d’années de silence ? « Jean n’a rien à redouter sauf que je ne vienne pas et il est certain de ne plus dormir de la nuit, c’est sûr, quand elle découvrira de quoi j’ai l’air, si jamais je viens, il a fait tout ce qui était en son pouvoir, tu comprends Jeanne, ce ne sera pour personne d’autre que toi si ton frère vient, je vais venir se répète Jean comme si de se le répéter allait me faire venir » (…) Mais les jambes de Louis ne le soutiennent plus, est-ce la marque des coups reçus, ou l’esprit qui se refuse à les faire marcher jusqu’au Clos Fleuri, de sinistre mémoire ? La Villa du Clos Fleuri, son jardin où Jeanne et Louis se réfugiaient l’un contre l’autre lorsque la violence du père éclatait, lorsqu’il leur fallait échapper aux coups, aux cris de détresse de la mère. En bordure du terrain, la présence tranquille du Toison, cette rivière qui trace une frontière entre le passé douloureux et l’espoir d’un avenir moins lourd, image de l’échappatoire, loin des colères du père, loin de la folie de la mère, loin de l’inceste.
Patrick Froehlich a 45 ans. Puisque le jour il est chirurgien, c’est la nuit qu’il écrit. « Mon activité de chirurgie a trop souvent consisté à éloigner les enfants de la mort, à essayer ; celle de l’écriture va dans la vie, au plus près. » Il se qualifie volontiers de « besogneux », et il lui a fallu des années d’écriture (« Heureusement, la durée de vie augmente » plaisante-t-il), les refus des éditeurs « comme une leçon d’humilité », « un processus de maturation lente par les silences, par quelques encouragements » pour enfin trouver son langage. Lorsqu’il décide d’envoyer Le Toison par la Poste, c’est avec un courrier très ciblé à l’attention de Bernard Comment, figure pour lui de l’éditeur qui, avant d’être un passeur, est quelqu’un qui accompagne. Depuis, un autre roman a déjà été achevé, et le suivant est en cours. Encore surpris lui-même d’y être parvenu, Patrick Froehlich a trouvé son ton, son rythme, sa langue, et c’est tant mieux pour nous.

Lise Benincà

Le Toison
Patrick Froehlich
Seuil, 192 pages, 17

Mélodie à trois voix Par Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°75 , juillet 2006.
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