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Domaine français Exercices de cruauté

septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76 | par Richard Blin

Plongée dans l’intériorité cynique d’un bourreau ordinaire autant que dans un enfer colonial méconnu, le deuxième roman de Jean-Louis Magnan pointe notre incapacité foncière à regarder le Mal en face.

Anti-Liban déjà (Verticales, 2004), avait donné le ton, imposant d’emblée une matière et une manière, une conception de la littérature comme art d’investir le négatif de l’image que les sociétés et les hommes veulent donner d’eux-mêmes. Une écriture de la catastrophe, une chronique de l’humaine cruauté, doublée de l’impossible inventaire des mots/maux et des morts qui trament l’arrière-monde de nos vies. Parce qu’il n’est pas de sujets sur lesquels on ne pourrait écrire, et parce que le livre sous toutes ses formes est un des moyens de lutter contre « les silences qui nous structurent », Jean-Louis Magnan persiste et signe, avec Les Îles éparses, une anti-épopée où il explore quelques-uns de ses secrets les plus inavouables de l’expérience humaine.
Ici encore trajets individuels et histoire collective s’interpénètrent. Au milieu du dernier siècle, et pour services rendus au pouvoir, un groupe d’hommes s’est vu proposer la concession d’un reliquat colonial d’îles proches de Madagascar, ainsi que l’exploitation de la Compagnie minière des phosphates de l’Indien. Soumettant la main-d’œuvre indigène à un régime concentrationnaire (« Ne nourrissons jamais la main-d’œuvre que de rêves »), ils y développent une mini-société où l’outrage et le meurtre sont la règle. Tous ces mercenaires ayant vécu mille turpitudes, connu les maquis, les fronts, les sales coups et tous plus ou moins pervers imposent leurs volontés et leurs caprices à des ouvriers, véritables bêtes de somme et de plaisir, sur lesquels ils exercent une domination absolue « Ici, l’ouvrier a une tâche, son corps plusieurs fonctions, mais comme outil parlant, il ne porte aucun nom ».
Parmi cette frange d’hommes, un certain Barnabé Dole, qui laissera, bien des années plus tard, une courte confession testamentaire à l’un de ses protégés, Nathan, qui, fasciné, mènera l’enquête afin de raconter la vie de l’homme qui lui a sauvé la vie grâce à sa bibliothèque. Récit régulièrement entrecoupé par la voix de Nathan évoquant son propre parcours, ses doutes et ses réflexions. C’est que lui aussi a connu l’horreur, et qu’il cherche à comprendre. « Il y eut une opération où je fus équarri. Je n’écris pas pour la connaître. Seulement pour comprendre quelle créature je suis devenu, mesurer sa dangerosité ».
Comprendre, voilà bien l’horizon de ce roman. Comprendre comment on reste un homme, « que l’on ait été le diable ou bien sa victime ». Comprendre les raisons de la déraison. Comprendre pourquoi tous les récits qui disent la survie dans l’univers concentrationnaire ont en commun l’impossibilité de dire, de décrire l’horreur. « Littérature de la stupéfaction. Stupéfaction d’être encore en vie, que ça ait pu se produire, que l’homme soit monstre ». Comprendre le pourquoi de « l’exacte correspondance entre la parole des oppresseurs et celle des opprimés », le bourreau témoignant lui aussi de sa stupéfaction d’être encore en vie. Nathan comprend alors que pour analyser cette incroyable analogie des témoignages, il doit se placer « du côté de l’exécuteur » afin de se débarrasser « du risque de faire une hagiographie non du Mal, mais du Bien ».
Dire le Mal de l’intérieur, rappeler quelques vérités scandaleuses, c’est-à-dire irréductibles à quelque conception politique que ce soit. Oser regarder en face l’absolue sauvagerie de l’humain, dénoncer l’utilisation du sexe comme procédé d’asservissement, décrire l’abominable « Au bord des grands lacs, j’ai vu des vivants ligotés à des cadavres, laissés murant dans la chair décomposée ». Dire ces moments où plus rien ne peut se cacher derrière les mots, « où il n’y a plus de psychologie mais la viande ». Dire la mort de toute dignité, de toute raison. Dire l’absolue faillite du savoir sur laquelle prospère le Mal. Dire la bêtise sur laquelle il se fonde. « Où que l’on sonde dans les bubons des pestes du XXe siècle, nulle part on ne trouve signe d’intelligence. Ce n’est que ramassis d’aphorismes crétins, insultes à l’esprit, domination du sot », apologie de la puissance, exaltation de la race, systématique des désirs les plus animaux.
Les Îles éparses stigmatise cette « confusion de l’indigne et du stupide », s’interroge sur l’implication du malade dans son mal, sur la façon aussi dont les grandes nations commémorantes laissent se répéter « le mécanisme de l’horreur qu’elles dénoncent à date fixe ». Auschwitz, le goulag, les charniers, rien n’y aura fait. « Nous n’avons toujours pas fait l’effort de reconnaître et d’assumer la présence du bourreau dans notre généalogie ».
Ce que Jean-Louis Magnan illustre à nouveau avec talent, c’est la fonction de connaissance dont le roman doit être porteur, son rôle d’instrument de méditation éthique, bien supérieur à l’image. « On a voulu éduquer par la photographie (…), montrer l’absolu néant de l’humanité en accumulant les clichés. On n’a cessé d’organiser des commémorations, mais ce faisant, nous témoignons tout autant de l’événement que de notre incapacité à lui faire face ». Un livre donc, pour justement faire face au Mal, faire peur aussi, afin de susciter ce sursaut d’esprit critique sans lequel le passé est condamné à se répéter.

Les Îles éparses
Jean-Louis Magnan
Verticales
264 pages, 17,90

Exercices de cruauté Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°76 , septembre 2006.
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