Arno Bertina nous met hors de nous
L’homme est habité par l’écriture. Dans son petit appartement dont le loyer lui permet de se consacrer à une œuvre d’ores et déjà complexe, Arno Bertina ne rate pas une occasion de parler des questions qui se posent à lui dès qu’il veut écrire, c’est-à-dire quotidiennement. Si trois livres paraissent ces jours-ci, Anima Motrix, sur lequel il dit avoir travaillé chaque jour pendant trois ans et demi, accapare ses pensées. À l’instar de ce que préconise son œuvre, baroque, foisonnante, l’écrivain ponctue parfois ses réponses d’un rire gargantuesque et si sonore que sa voisine du quatrième en tremble encore.
Arno Bertina, voyez-vous une logique dans la succession des livres que vous avez écrits ?
Quand j’écris Le Dehors, je n’ai aucune idée de ce qui va suivre. Je commence Appoggio et d’un coup, je vois le lien avec Le Dehors. Je vois un prolongement : tout ce qui ne pouvait pas entrer dans Le Dehors mais commençait à pointer avec le personnage féminin va devenir la matrice d’Appoggio. Chaque livre fonctionne comme un jeu de marelle, quand les gosses lancent un palet et qu’ils ont le droit d’aller jusqu’où ils l’ont lancé. Je lance un bouquin et ça me donne le droit d’aller jusqu’à lui pour continuer. Donc le livre suivant sera plus libre, politiquement, littérairement. Je termine Appoggio avec un personnage en fuite en Italie et qui est à la reconquête d’un corps pétris d’inhibitions, de gênes, etc. Je sais, quand je termine Appoggio, que le prochain roman sera l’histoire d’un personnage qui marche et qui lors de sa marche sort de sa folie. Je me suis rendu compte que le point commun de ces trois livres, c’est systématiquement l’histoire d’un affranchissement personnel. Même si Anima Motrix est plus libre que les autres, c’est sans fin, je voudrais toujours être plus libre dans la phrase que j’écris, dans les histoires que je pose, dans les visions qui m’amènent à écrire.
Dès que je me lève le matin, je n’ai qu’une envie, c’est de bosser. Je me dépêche d’expédier les affaires courantes qui me cassent les pieds. Je travaille toujours avec un plan à portée de la main. J’écris souvent très vite le premier jet d’un chapitre et ensuite je fais des tirages que je passe mon temps à corriger, corriger, corriger. Pour Anima Motrix, je dois avoir entre cinq et dix versions de chaque chapitre entièrement noircies de corrections. Ça fait un manuscrit énorme.
Vous avez publié sous pseudonyme La Déconfite gigantale du sérieux, pourquoi ?
C’est un livre important pour moi parce que c’est un livre souterrain, d’où le pseudonyme. Le Dehors, Appoggio et Anima Motrix forment une sorte de triptyque. Les personnages se donnent la main les uns les autres. Le Dehors raconte l’échec de deux personnages à sortir de leur vie, Appoggio c’est l’histoire de quelqu’un qui se débat sans succès, Anima Motrix est l’histoire de quelqu’un qui arrive à passer de l’autre côté du miroir. Le triptyque fait donc le parcours d’un...