Malgré ce que laissait présager son titre, Deux larmes dans un peu d’eau évite l’écueil du mélodrame. D’autant que et Riboulet n’y est pour rien les romans sur ce thème sont légion depuis quelques mois, laissant apparaître une tendance au deuil pas forcément gageure de qualité. Pourtant, le récit mené par Paul se veut différent, à l’image de l’œuvre d’Anna Maria Ortese dans laquelle il trouve un exutoire au faix des obsèques paternelles et de la rencontre avec Mlle Gunersson. Cette dernière, Paul l’avait oubliée. Il avait cherché à effacer de sa mémoire la chute accidentelle de sa sœur dans les bras de la Danoise. Était-ce cela qui avait provoqué son décès à quelques jours d’intervalle ? Cette question le hante au moment de devenir père. En hommage, l’enfant portera donc Marie pour deuxième prénom. Mais ses angoisses ne se calment pas et ses recherches sur l’histoire de la papauté l’entraînent dans des circonvolutions métaphysiques au cours desquelles les temps se rejoignent et se confondent. Temps réel, à l’image de ce 28 juillet 1938 où un Pie XI inquiet de l’influence nazie sur le clergé lancera : « Qui mange du pape en meurt. » Temps fictif lorsque du recueil d’Ortese De veille et de sommeil s’échappe la désagréable Mme Trude qui remémore à Paul une autre nouvelle où une folle engloutit un passage des Prolégomènes de Kant. Meurt-on de manger Kant ? Y a-t-il là une réponse à l’énigme papale ? La littérature est-elle d’aucun secours face à la mort ? De l’errance de Paul, on retiendra l’expressionnisme habité de certaines visions et la certitude que, comme le dit Ortese dans Corps céleste : « Ecrire, c’est chercher le calme et parfois le trouver. » En noyant deux larmes dans un peu d’eau, par exemple.
Deux larmes dans un peu d’eau de Mathieu Riboulet
Gallimard, coll. « L’un et l’autre », 102 p., 14,50 €
Domaine français Larmes croisées
novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78
| par
Benoît Legemble
Un livre
Larmes croisées
Par
Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°78
, novembre 2006.