En guise de programme pour un « stage intensif » HEC-ESSEC, une brochure annonce : « L’accent sera mis sur la rédaction : rigueur et précision, concision et clarté sont des qualités à développer ». Oui mais pourquoi ? C’est que la « rigueur s’impose, en matière de communication (…). Quand on règle une machine ou qu’on a une discussion d’affaires, l’exactitude, la concision, un rien d’élégance, même, sont la clé du succès » (Pierre Bergounioux).
Dissuadant le vulgaire d’oser approcher la cour et ses conversations, Madame de Sévigné écrit en 1688 : « Il y a de certaines choses qu’on n’entend jamais, quand on ne les entend pas d’abord ». Bien envoyé, mais il faut désormais préciser que dans les grandes écoles littéraires et scientifiques, « le savoir n’est pas séparable de la personne. Il fait corps avec elle. (…) L’excellence scientifique, la sensibilité littéraire sont héréditaires » (Pierre Bergounioux).
« Le Génie de notre langue est la clarté » indique le Dictionnaire de l’Académie de 1835. Voilà qui peut aisément se prouver : le « bien-parler » est « un instrument puissant, de haute précision (…). Son exactitude l’avait fait choisir, au XVIIIe siècle, par l’Empire Ottoman, comme idiome diplomatique il purgeait de toute obscurité, de la moindre équivoque, les traités à la rédaction desquels il avait servi » (Pierre Bergounioux).
Le Journal des Débats du 8 décembre 1831 est formel : « Les Barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie : ils sont dans les faubourgs de nos villes. » Hier comme aujourd’hui, on reconnaît ce barbare à l’oreille : les récentes émeutes de banlieue constituent une « lutte des classes conduite dans la pire confusion, par une fraction de classe et une classe d’âge dépourvues de projet, d’alliances, de pensée, presque de langage articulé » (Pierre Bergounioux).
On s’est permis d’extraire quelques morceaux d’Ecole : mission accomplie, longue interview de Pierre Bergounioux récemment publiée aux Prairies ordinaires, et de les juxtaposer à divers propos glanés ci et là : ceci, juste pour montrer que ce contemporain ne s’enferme pas dans le présent d’une orthodoxie lénino-bourdieusienne. Bien au contraire, la lutte des classes qu’il professe s’avère largement open. Elle agit à la manière d’un diffuseur d’ambiance. Baptisons ce modèle NOVMARX : l’air est meilleur et raréfié où se mélangent à la IIIe Internationale les parfums anciens des académiciens et des marquises iceux-là prompts à défendre le bon français contre les borborygmes, les constructions fautives et les gels coiffants. Et pourquoi donc Bergounioux s’abstiendrait-il d’emprunter des arguments à Lagarde et Michard ? Sans nul doute, Madame de Sévigné eût su diriger la branche armée du SNES.
Trêve de comparaisons. Il est d’autres propos dont la généalogie se laisse moins évidemment distinguer. Ainsi d’une part spéculative irrémédiablement singulière : « Les bons élèves, ceux qui obtiennent de grosses notes, sont plutôt petits, fluets, parce qu’ils sont plus jeunes que les mauvais et que leurs habitudes, celles de manger, par exemple, sont contrôlées ». On approche ici le bien propre de l’auteur, son génie. Mais on ne peut que l’approcher, atteindre ces hauts plateaux anthropologiques revenant un peu à frôler un exigeant panthéon. « Les écrivains que j’admire rebuteraient mes élèves parce que le degré d’élaboration formelle de leurs livres, leur coût, dépassent les possibilités non seulement d’adolescents mais aussi de la majorité du lectorat » : il est toujours doux de vérifier qu’au contraire des consoles de jeux, de la Star Ac et des lecteurs MP3, symptômes patentés de l’extinction des Lumières, c’est bien la littérature difficile et son corollaire le bien-parler qui continuent de faire de nous des hommes plus clairvoyants et surtout meilleurs.
Gilles Magniont
Avec la langue Régime et Ancien Régime
janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79
| par
Gilles Magniont
Expression, littérature, enseignement : rien ne résiste à une bonne grille conceptuelle.
Régime et Ancien Régime
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°79
, janvier 2007.