Nous sommes en 1999. C’est le JT de 20 h, Claude Sérillon reçoit Lionel Jospin. Dans quelques minutes, le Premier ministre de la France va prononcer une phrase, La Phrase.
Devant son écran de télévision, l’écrivain François Salvaing suit l’interview. Et il entendra la phrase. Vous l’avez peut-être entendue vous aussi. Elle est reproduite sur la couverture de l’essai que le romancier publie : « Je ne crois pas qu’il faut tout attendre de l’État ou du gouvernement. » Essai ? Oui, mais d’un genre particulier : entre roman policier (où ce serait le parler faux qui serait traqué) et reconstitution des faits. François Salvaing avance par courts fragments, pose les jalons qui vont nous conduire à « la phrase de 20h27 » : l’émergence de la flexibilité dans les entreprises, un fast-food qu’on démonte à Millau, une usine en Belgique qu’on ferme pour aller produire ailleurs la même chose, une grande entreprise familiale de Clermont-Ferrand qui réalise de bons profits, mais décide de licencier son personnel. Il place ses personnages : Le Premier ministre, le Présentateur et le Narrateur. Enfin, il donne des traductions de ce que disent les mots quand ils sont employés pour masquer ce qu’ils ont à dire. Comme un jouet à ressort, l’écrivain remonte sa mécanique et on lit la pantomime politique sinistre et triste avec un bonheur qu’on ne doit qu’à l’écriture et à la construction. À l’intelligence claire aussi d’une pensée qui n’a pas fait l’économie d’être sensible. C’est implacable. L’Histoire immédiate menée ainsi à la baguette décille les regards. Et publier un tel livre à quelques mois d’une Présidentielle ne garantit pas qu’on ait dans la presse beaucoup d’articles. La lucidité n’est décidément pas politiquement correcte.
La Phrase de François Salvaing
Mille et Une Nuits, 108 pages, 10 €
Domaine français Rien à attendre
février 2007 | Le Matricule des Anges n°80
| par
Thierry Guichard
Un livre
Rien à attendre
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°80
, février 2007.