Nulle paillette, ni romanesque enivrant dans ce court récit d’André Bucher, qui donne dès ses premières pages sa propre morale : « (David) pensait souvent que malgré cette époque de jeunisme un peu pathétique, toute cette avidité, ce besoin effréné de célébrité ou de reconnaissance, il était encore possible d’accomplir de belles choses à l’écart et dans le silence, sans toutefois en tirer gloire. » David, un homme de 60 ans, vit retiré dans un coin des Alpes-de-Haute-Provence, en proie à une certaine solitude depuis la mort de son épouse. Sa fille, elle-même mère de deux enfants, est en train de se séparer de son mari ; quant à lui, David, il cherche à établir avec Mireille, une femme qu’il connaît depuis longtemps, une relation amoureuse pérenne ; mais celle-ci, qui a perdu sa fille Martine plus de dix ans auparavant, ne parvient pas à faire son deuil. Les personnages ressemblent à ceux de la vie réelle, et sans être spécialement beaux ou extraordinaires, sans nous faire rêver ni frémir, ils prennent corps pourtant pour le lecteur, précisément dans la façon qu’ils ont de nous renvoyer d’eux-mêmes une image exacte. La fidélité à la réalité n’exclut d’ailleurs pas des incursions dans des dimensions plus oniriques, comme dans ce passage où David, au cours de sa marche, évoque de manière fantasmagorique la présence de Martine au sein des éléments naturels.
Un jour de décembre 2004, David part rejoindre deux amis qui ont sollicité son aide et entame une longue marche dans la nature enneigée et déserte, rude, où même les maisons « recroquevillées » semblent assoupies et peu hospitalières, comme dans ce village que le personnage traverse, avec ces « quelques toits, l’un contre l’autre frileusement appuyés, et… à peine une dizaine de feux anémiques, debout comme des quilles. » Mais ce cheminement, si difficile soit-il, et fatiguant, est aussi intérieur, il est l’occasion de voir remonter à la surface de sa conscience des souvenirs, des images : son épouse morte, Martine et l’éternelle interrogation sur son absence, le corps de Mireille dans la nuit. Sans esbroufe, André Bucher mêle le flux de la pensée au spectacle du paysage environnant, en un réalisme poétique, un peu âpre, qui ne sombre pas dans une vision angélique de la nature, mais semble plutôt être le fruit d’une observation patiente, régulière et minutieuse, qui est visiblement celle de l’auteur lui-même. L’univers alpin existe alors pleinement, avec sa dureté et tout ce qui en lui résiste à l’homme, « de la neige, de l’air, des particules en suspens, poncées par le gel, d’une brillance absolue. Puis la chape sombre, inquiétante, le monstre noir. » Il peut être fascinant mais pas riant ni tendre. Bucher possède un art de la description, suggérant à merveille la froidure, les environs désolés, et montrant aussi combien l’exercice de la promenade solitaire favorise le travail de la mémoire et de la conscience. Sans arrière-goût réactionnaire ni passéiste, sans dimension moralisante, son roman, modeste par son projet, humble dans ses personnages, échappant même à une véritable intrigue, offre au lecteur une forme de respiration tranquille de la lecture, une pause, une mise à distance de nos univers urbains et souvent frelatés. Si le mot n’était pas si galvaudé, on oserait écrire que ce récit possède une authenticité dans la vision qu’il donne de l’homme et de la nature ; au moins peut-on dire qu’il épouse les contours d’un réel juste, parce que non spectaculaire.
Delphine Descaves
Déneiger le ciel
André Bucher
Sabine Wespieser 146 pages, 17 €
Domaine français Un homme en hiver
février 2007 | Le Matricule des Anges n°80
| par
Delphine Descaves
Éclairé par une âpre beauté, le quatrième roman d’André Bucher, le temps d’un monologue, mêle harmonieusement dimensions terrienne et poétique.
Un livre
Un homme en hiver
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°80
, février 2007.