Qu’ont-ils en commun Denis Seznec et Jordi Soler ? D’être les petits-enfants de grands-pères happés par le destin. D’où une volonté farouche parfois pathétique de découvrir la vérité. Si l’un fut accusé de meurtre, l’autre prétendait que son passé n’était pas le sien. Si l’un fut maître de scierie en Bretagne, l’autre, Arcadi, était journaliste à Barcelone. Un journaliste qui s’engagea pour défendre la République contre le putsch du général Franco. Vaincu, réfugié en France, il fut parqué sur la plage d’Argelès pendant deux très longs hivers avec comme seuls abris des trous dans le sable. Il vécut dans des conditions d’hygiène déplorables, au milieu de 90 000 autres exilés. Des compatriotes, des soldats, des femmes, des enfants, des vieillards, des gitans, des juifs, des Croates… Combien moururent de dysenterie ou emportés par les coups de mer ? Des centaines, des milliers que l’Histoire semble encore occulter. Le camp d’Argelès faisait partie des deux cents autres camps d’internement français dressés à la hâte pour accueillir ceux qu’une loi de 1938 nommait les « indésirables étrangers ». Suite à une altercation avec un tirailleur sénégalais, Arcadi fut condamné à retourner en Espagne. Il s’évada du train. Échappant tour à tour à la police française, à la gestapo et aux services secrets espagnols qui enlevaient, torturaient et supprimaient impunément les anciens guerilleros sur le territoire français, il se réfugia dans un hôtel qu’un certain Rodrigues, ambassadeur, avait transformé en légation mexicaine. Cet homme, injustement oublié, réussit à sauver et à transférer vers le Mexique des milliers de Républicains. L’histoire ne s’arrêtera pas là. De l’autre côté de l’Atlantique, elle se fera moins grave, parfois même picaresque. Avec ses compagnons, Arcadi crée une plantation de café, la Portuguesa, qu’il gère dans le respect de ses idéaux. Dans cette plantation s’ébroue un éléphant. On y croise aussi La Mulata, superbe femme fatale, qui semble tout droit sortie d’un Corto Maltese. Quelques décennies plus tard, le narrateur, petit-fils d’Arcadi et anthropologue, donne une conférence à Madrid. Devant l’étonnement des étudiants sur le fait qu’il s’exprime dans un parfait catalan, lui, un Mexicain, il comprend que l’histoire de la guerre civile comporte d’immenses lacunes. Il se met alors à interroger son grand-père jusqu’à ce que ce dernier décrète que l’histoire qu’il avait vécue était en fait celle d’un autre. Poursuivant son enquête, il interrogera ses anciens compagnons, explora les archives de l’ambassade du Mexique à Paris, visita les lieux où il vécut, et découvrit des choses surprenantes, entre autres qu’Arcadi n’a jamais perdu son bras dans une broyeuse à café et que du Mexique, dans les années 60, il organisa un attentat contre Franco.
Les Rouges de l’Outremer, titre espagnol des Exilés de la mémoire, surprend à la fois par le sérieux de ce qu’il révèle (camps d’internements, France occupée livrée aux barbouzes des nations...
Entretiens Rouge exil
Catalan, né à Veracruz au Mexique, Jordi Soler, en journaliste, historien, romancier, dévoile la vie engagée et aventureuse de son grand-père, Républicain exilé. Un roman grave, émouvant et picaresque.