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Domaine étranger Le chasseur de rêves

février 2007 | Le Matricule des Anges n°80 | par Sophie Deltin

Les éditions Intexte rééditent le recueil composé d’aphorismes et de récits de rêves, écrits en 1954 par Armel Guerne (1911-1980), immense poète resté injustement peu connu.

La Nuit veille

Il faut comprendre le rêve par le rêve. Tant pis pour les savants et les psychologues ». En brocardant la « suffisance » des sciences d’après-guerre, parmi lesquelles une psychanalyse trop encline à se satisfaire de l’« objectivité » de ses interprétations, Armel Guerne, poète et génial traducteur de Novalis, Hölderlin, Melville ou Kawabata, qui a toujours préféré le silence et la solitude à la vie littéraire parisienne (jusqu’à se réfugier dans un moulin perdu du Lot-et-Garonne !), ne cherche pas seulement à secouer les certitudes tapageuses de son temps. Poursuivant sa Résistance celle menée sur le terrain, alors qu’il appartenait, lui et sa femme, à des réseaux clandestins par d’autres moyens, sa volonté « d’en appeler au rêve » et de restituer à l’imagination son statut éminent de faculté de connaissance à part entière, résonne comme un cri d’insurrection contre un rationalisme qui n’en finit pas d’imposer ses raisons, à coup d’instruments et de mesures. Mais que sont-elles ces « pauvres immensités », comparées au « trésor » inentamable que constitue, derrière les yeux de chacun de nous, le monde intérieur « qui s’ouvre… sur les abîmes les plus éblouissants et les plus ténébreux de l’infini » ?
Dans la lignée d’un Bloy ou d’un Bernanos avec lequel Guerne a tissé une amitié profonde, il n’est rien moins question dans La Nuit veille que de rigueur, de tenue morale, pour qui ne peut souffrir la démission terrifiante de l’homme à son âme, et se désole de la dégradation que font subir les voix contemporaines à la langue française « une langue de cendres froides dont plus personne n’entretient et dont personne ne ranime le somptueux feu intérieur naguère si dévorant, si splendide ! » Contre cette déliquescence spirituelle de l’époque, la poésie est le seul mot d’ordre énergique que l’on puisse encore brandir en guise de salut : « Laissez parler en vous la langue qui libère. Relevez le grand I de l’Imagination : c’est le bâton magique qui vous déshallucinera, la verge de la vraie lucidité » (…) s’exalte ainsi Guerne dans sa préface écrite avec une fougue sublime.
Car l’aveuglement, prévient le poète, est de se mettre à la place du rêve, de dire « je » à sa place, et de prétendre neutraliser sa transcendance, son antériorité, à jamais devançable par nos ordres de connaissance, en lui substituant notre langage. Or, à peine prenons-nous conscience du rêve, l’exprimons-nous, qu’aussitôt nous le « traduisons » le faussons, la formulation du rêve n’étant pas, n’étant plus le rêve même. C’est pourquoi « (l’)’interprétation véritable des rêves doit se faire sans interprétation. Littéralement. » À la lettre donc, mais dans quel sens ? La question serait plutôt chez Guerne : à quelle vitesse ? En effet, si la nuit correspond bien à une diminution de lumière en surface, et le sommeil à un ralentissement physiologique, celui-ci s’accroît, par compensation, d’une « lumière inexplicablement simple, (…) merveilleusement unique », puisée dans une étonnante vie organique et spirituelle un torrent de pure énergie poétique qu’il s’agit donc moins d’interpréter, d’analyser que d’en faire surgir et d’en capter l’immensurable intensité. « Grâce à cette accélération, la pensée du dormeur sort de son nœud psychologique et peut s’épanouir, se disperser : chaque organe en redevient le siège (comme avant la conscience) : une main pense, un muscle pense, un nerf pense, le sang pense. Qu’une accélération plus grande vienne à se faire (…), et dans l’infinité des parcours possibles, des coïncidences se feront, des rencontres, des mariages : Rêves. »
Ainsi dans cette « chasse épuisante » l’art de Guerne sera-t-il d’apprendre à se déplacer, « seul et nu », au plus près du rêve comme on s’approche d’un « incendie » ou d’une « source vive », multiple et bruissante d’ « un sang secret ». De cet effort constant, rend compte le jeu labile des instances narratives, l’une redoublée en basse continue par celle, démoniaque, qui s’emploie çà et là à saper toute certitude que le « je » pourrait avoir de sa mise en récit. Un « je » précisément, dont l’unité construite et statique menace de s’échouer contre le flot excédant de visions insolites qui déferlent à une « vitesse de météore », l’empêchant d’ailleurs souvent de n’en rien « retenir » au sens fort. Ainsi la conclusion du « Rêve-Secret ou le Rêve des Faux-Rêves » : « C’était un de ces rêves emportés, et qui fut emporté par le rêve. Un homme pèserait trop, ou trop peu, au dedans. »
L’écriture syncopée de Guerne, qui telle une houle progresse selon une cadence, un débit plus ou moins précipité, par ondulations, détours ou ressacs, signale ce souci d’écouter, jusque dans « le grain de son silence », ce(ux) qui parle(nt) dans le rêve : des « nous » et des « ON » énigmatiques, quand ce ne sont pas ces lambeaux fantastiques de celui que le carnage de la Guerre a marqué de son empreinte fatale : des hommes sans tête (« Vision »), des poux (« Rêve-Rêvé »), une Morte en décomposition (« La Morte sans suite »), un Coupable (« Cercles et nœuds »), des milliers de visages « avec des regards fixes » (« Rêve d’eau »), du « SANG » (« L’Histoire de l’Homme Petit et Oublié, précédée… »)…. De sorte que la beauté effrayante de La Nuit veille ne réside pas tant dans l’étrangeté furieuse et oppressante des images qui y courent, que dans cette assignation inachevée du rêve, tendu vers l’impossible de toute parole.

Sophie Deltin

La Nuit veille
Armel Guerne
Introduction de Jean-Yves Masson
Intexte, « D’Orient et d’Occident », 176 pages, 20

Le chasseur de rêves Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°80 , février 2007.
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