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Essais Entre babil et Babel

mars 2007 | Le Matricule des Anges n°81 | par Thierry Cecille

Les langues ont leur destin : elles naissent, mûrissent, vieillissent puis disparaissent. Elles deviennent ici, sous la plume érudite et cependant alerte de Daniel Heller-Roazen, comme les personnages d’un roman picaresque.

Escholalies : Essai sur l’oubli des langues

Savez-vous que la première lettre de l’alphabet hébreu, l’aleph, est « une lettre que nul ne peut prononcer », et que, pourtant, « la Révélation tout entière se réduit à une seule lettre dont tous ont oublié la sonorité » puisque, selon un rabbin hassidique du XVIIe siècle, avec cet aleph commence le premier commandement : « l’aleph du mot anokhi Je » ? Savez-vous que « peu après la Révolution d’Octobre, les autorités linguistiques du nouvel Etat soviétique proclamèrent que toute une armée de lettres désormais superflues n’avait plus à être imprimée » ? Connaissez-vous cette page des Confessions dans laquelle Saint Augustin ironise sur ceux qui, autour de lui, se soucient plus de « violer une règle de grammaire en n’aspirant pas le son h du mot hominem » que de l’amour de ce même homme, notre prochain ? Nous avouerons pour notre part notre ignorance désormais comblée ! Quelque peu effrayé par le titre (qui désigne nous dit-on mais cela ne nous rassure guère « la répétition automatique de mots prononcés par autrui ») le lecteur pourrait hésiter à ouvrir ce volume dense et il passerait alors à côté des heures de plaisir et de surprise que pourront lui procurer ces pages. Nous sommes ici en effet si l’on excepte quelques rares passages ardus plus près de certaines nouvelles de Borges ou des cheminements intellectuels d’un Calasso que d’un texte strictement universitaire. Notre voyage débute avec cette curieuse « amnésie phonique » que chaque enfant doit subir : alors qu’ « au sommet du babil », quand il n’a pas encore commencé à posséder sa langue maternelle, il est capable d’articuler un nombre impressionnant de sons, il ne disposera plus, par la suite, de cette faculté : « Peut-être la perte d’un arsenal phonétique sans limites est-elle le prix à payer pour s’intégrer de plein droit dans la communauté d’une langue ». À partir de là nous suivrons, avec force virages, détours et digressions, ce qu’il advient des hommes face à leur langue, et ce qu’il arrive aux langues dans l’histoire des hommes. Certains épisodes provoquent le sourire : ainsi de cette Nouvelle apologie de la lettre H par elle-même écrite par Johann Georg Hamann en 1773, dans laquelle la pauvre lettre, aspirée donc peu à peu oubliée, s’anime et prend la parole : « Ne soyez pas surpris si je m’adresse à vous d’une voix humaine, comme le ferait une pauvre bête de somme, pour vous punir de vos péchés. Votre vie est semblable à ce que je suis un souffle ! »
D’autres récits s’inscrivent dans des problématiques plus larges : quand la langue se fait arme culturelle ou politique, quand elle devient comme l’âme d’un peuple, ou l’enjeu de luttes pour sa survie et, en même temps, celle des hommes qui la pratiquent, usent d’elle dans tous les sens du terme. Ainsi pouvons-nous retrouver Du Bellay reprenant à son compte le concept, alors assez neuf, de langue morte pour défendre la jeune langue française et présenter le latin comme un arbre vieilli, qui avait déjà porté « tout le fruit » qu’il était capable de produire. Daniel Heller-Roazen s’intéresse également, en un parallèle implicite, à ce qu’il advint de l’hébreu quand, « du temps de l’Espagne musulmane », « l’âge d’or de la poésie hébraïque eut lieu au moment même où les auteurs durent abandonner pour toujours la terre qui avait vu naître cette poésie » et quand, après le retour en Palestine, Terre promise, les pionniers s’efforcèrent d’inventer un hébreu artificiel (pour certains, « une forme de yiddish au vocabulaire bizarre » !) qui deviendrait la langue réconciliée de cette patrie retrouvée. L’itinéraire, avant de parvenir aux mystères de Babel, nous permettra également de découvrir, en compagnie d’Abû al-’Ala’ al-Ma’arrî le « Paradis des poètes » mais la déception nous y attend : là-haut, même les plus grands des poètes ont oublié qu’ils avaient, un jour, écrit, ils « souffrent d’une amnésie littéraire sans appel » et se contentent de jouir des plaisirs qui leur sont réservés ! C’est que « certains savants pensent que le mot homme [insân] vient du mot oubli [nisyân] »

Echolalies Essai sur l’oubli des langues de Daniel Heller-Roazen -Traduit de l’anglais par Justine Landau, Seuil, 295 p., 22

Entre babil et Babel Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°81 , mars 2007.
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