Les confessions d'Emmanuel Carrère
Octobre 2000. Emmanuel Carrère se remet tant bien que mal de l’épreuve infligée par L’Adversaire. Ces murs de désespérance, ces histoires d’enfermement qui le précipitent dans des puits sans fond et dessinent « le plan du piège qui doit me broyer » lui sont de plus en plus insupportables. Il souhaite passer à autre chose, se tourner « vers le dehors, vers les autres, vers la vie. » On lui propose de réaliser un reportage sur un soldat hongrois capturé par l’Armée rouge lors de la retraite de la Wehrmacht, et retrouvé cinquante-six ans plus tard dans un hôpital psychiatrique au fin fond de la Russie. Encore une histoire de déglingue. Qu’importe. Carrère part à Kotelnitch se refaire une santé. Du moins si on peut dire car cette petite ville à 800 km au nord-est de Moscou et au même degré de latitude que la désolation n’est pas à proprement parler un endroit de villégiature. Ici, on soigne les gueules de bois et on comble le vide de l’existence à grand renfort de vodka et de saucisson trop gras. Des types tondus vous regardent avec « une curiosité franchement peu amène », et les draps des hôtels sont si sales qu’on hésite avant de s’y glisser. Carrère a la conviction que le destin de ce soldat hongrois, ce Kaspar Hauser de 75 ans qui se fracasse la mâchoire à coups de marteau pour être soigné par la dentiste de l’hôpital dont il est tombé amoureux, peut lui permettre « d’approcher par un chemin détourné » celui de son grand-père disparu également pendant la guerre.
Juin 2002. Carrère fait donc son retour à Kotelnitch pour signer un nouveau documentaire dont les contours doivent être ceux d’un journal de bord et faire sortir « quelque chose qui donnerait forme à ce qui m’obsédait : quelque chose qui tienne lieu de pierre tombale à mon grand-père pour qu’atteignant l’âge de sa mort je sois délivré de son fantôme, que je puisse vivre enfin. » Mais sur place, les choses s’avèrent décevantes. Aucun événement imprévu ne se manifeste. Aucune rencontre fortuite ne vient à lui. Rien ne laisse présager autre chose que la chronique d’une petite ville de province russe où chacun attend désespérément que quelque chose advienne. Ania, une jeune francophone croisée lors du premier séjour et qu’il s’était imaginé entourée d’une aura de mystère, lui apparaît quelconque. Peu à peu la déprime le gagne. Seule la publication prochaine dans Le Monde d’une nouvelle érotique écrite pour Sophie avec qui il vit une histoire d’amour passionnée le maintient à flot. L’issue sera cependant fort différente de celle escomptée.
Décembre 2002. Quelque chose est advenue. Ania et son fils ont été assassinés de manière sordide. Carrère se rend une troisième fois à Kotelnitch pour le quarantième jour, l’étape du deuil la plus importante. Au cimetière, par 30, lui vient cette réflexion : « Je suis venu faire une tombe à un homme dont la mort incertaine a pesé sur ma vie, et je me retrouve devant une autre tombe, celle d’une femme et d’un enfant qui ne m’étaient rien, et...