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Domaine étranger Thomas Mann et ses démons

mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83 | par Sophie Deltin

La réédition du Journal du « Docteur Faustus » de l’écrivain allemand (1875-1955) nous fait pénétrer dans l’atelier d’une écriture hantée par le naufrage de son époque.

Le journal du « docteur faustus »

Thomas Mann a près de 70 ans lorsque, forcé depuis 1933 à l’exil aux États-Unis, il décide d’écrire « son livre infernal« Docteur Faustus, immense roman relatif à la déchéance spirituelle de l’Allemagne et des Allemands, prédisposés, sous les traits d’Adrian Leverkühn, un artiste euphorique mais menacé de stérilité, à conclure un pacte avec le Diable pour se libérer de la crise générale de la civilisation et de la musique en particulier. Une œuvre de vieillesse donc, tirée des profondeurs de son existence, qui a pris corps en lui, qu’il a écrit avec « le sang de (s)a vie » et dont « le noyau maigre et vague du thème avait dès le début une aura, un sentiment vital, une atmosphère biographique » prédestinant l’auteur des Buddenbrook (son premier roman, 1901) à revenir quarante-deux ans plus tard « au foyer, dans la sphère vieille allemande et musicale ». De 1943 à 1946, celui qui joue alors pleinement son rôle de » représentant « de l’émigration antifasciste, est en train de réaliser, en proie à une tension extraordinaire, ce qu’il aura coutume d’appeler «  (s)on Parsifal ». Un enjeu colossal pour une œuvre que le romancier allemand a toujours voulu élever au statut de testament, et que la rédaction, en parallèle, de son Journal réussit à nous restituer dans toute son ampleur.
Car Thomas Mann ne se contente pas d’y noter les étapes de son entreprise narrative : une lutte intime menée avec des hauts (la joie que lui procurent ses petits-enfants) et des bas (angoisse, découragement, et ennuis de santé), ce qui donne lieu déjà à de très belles pages sur la genèse du Faustus » telle qu’elle s’insère dans l’accablement et le tumulte des événements extérieurs », ainsi qu’à de riches développements sur son esthétique (le constructivisme musical) et sa visée essentielle (« exposer l’œuvre au reproche de sanglante barbarie et d’intellectualisme exsangue »), sa passion des idées justes lui permettant d’avancer certaines explications notamment quant au choix du narrateur et de la biographie fictive : « Laisser filtrer le démoniaque à travers un médiateur exemplairement non-démoniaque (Serenus Zeitblom), (…), l’idée était cocasse en soi, elle délestait en quelque sorte l’œuvre, et me permettait de transposer dans l’indirect et l’émotion provoquée par l’élément direct, personnel, ma part d’aveux qui se trouve à la base de cette troublante conception, et de la travestir en laissant s’exprimer, dans le désarroi, le frémissement de cette âme angoissée. » Outre des analyses pénétrantes sur ses écrivains (Hesse, Stifter, Keller, Stendhal) et philosophes (Nietzsche, Kierkegaard) fétiches, ainsi que sur l’impact de ses amitiés sur son travail (l’emprunt « risqué-sans scrupule » à la philosophie de la musique élaborée par Adorno et par-delà, au dodécaphonisme de Schönberg), sa confrontation, en permanence et à distance, au déroulement de l’Histoire, lui permet de fournir des réflexions sur les aléas de la guerre et la paix à venir. Ainsi le jour de la capitulation de l’Allemagne : « Si j’avais pris au sérieux la fausse victoire de Hitler, si je l’avais prise à cœur, il ne me serait vraiment pas resté d’autre alternative que de disparaître. Survivre signifie vaincre. J’ai lutté, j’ai raillé et maudit les violateurs de l’humanité. Donc, pour moi aussi, la victoire. Je sais avec une parfaite clarté à qui l’on est redevable de cette victoire : à Roosevelt. »
Dîners mondains, discours d’hommages (Roosevelt, M. Reinhardt, F. Werfel), articles, conférences et autres messages radiodiffusés pour l’Allemagne, le Journal fait constamment état du positionnement singulier de Thomas Mann dans le champ culturel des exilés allemands, quitte à révéler sa colère ou sa tristesse, qui sonne vrai, quand il s’agit de répondre aux accusations des partisans de « l’émigration intérieure » contre tous ceux qui ont « abandonné l’Allemagne dans le malheur », pour assister à son destin « commodément installés dans les loges de l’étranger »… C’est précisément la tentative de clarifier le rapport à son pays, nourri en contradictions et tourments, qui s’exprime formidablement ici, le prix Nobel de 1929 n’hésitant pas à réfuter la légende d’une « bonne » et d’une « mauvaise » Allemagne (« la mauvaise étant en même temps la bonne, la bonne égarée et courant à sa perte ») autant qu’à reconnaître ses propres errements antérieurs : « L’écrivain… comme instrument de signalisation, sismographe et médium de la sensibilité, sans qu’il ait clairement conscience de sa fonction organique, et pour ce motif, capable de se tromper parfois dans ses jugements, voilà, me semble-t-il, l’unique perspective juste ». Dans cette façon de ne pas s’exclure entièrement du tragique de son pays, c’est toute la dimension de l’évolution de Thomas Mann, notamment eu égard à ses positions apolitiques de jeunesse, qui se trouve affirmée : l’itinéraire moral et spirituel d’un esthète bourgeois qui est progressivement parvenu à concevoir la nécessité « d’une certaine universalité radicale de ses exigences ». Un témoignage stimulant, dont on pourra tout au plus regretter les coquilles parfois grossières, et à force agaçantes, qui affectent sa version française.

Le Journal
du « Docteur Faustus »

Thomas Mann
Traduit de l’allemand
par Louise Servicen
Préface de Jean-Michel Palmier
Christian Bourgois, « Titres »
287 pages, 7

Thomas Mann et ses démons Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°83 , mai 2007.
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