Ces seize nouvelles sont une plongée dans la Grèce moderne, son histoire agitée et sa population diverse dont une partie connut l’exil, au moment de la Grande catastrophe de 1922. Chassée d’Asie Mineure, la vieille communauté grecque fit alors un retour forcé au pays. Dès la première nouvelle, deux jeunes couples, après être passés sous « l’œil goguenard » de la commission chargée de reloger les réfugiés, se voient ainsi proposer une ville côtière : « que feraient-ils de terres côtières ? Ils n’étaient ni pêcheurs ni caboteurs, mais maçons et menuisiers (…). Avec leur esprit d’Anatoliens, ils jugeaient toujours les choses à l’aune de la Turquie. » Cette Catastrophe, qui a déplacé les individus, les forçant à abandonner leurs modes de vie, a conduit aussi à l’échange obligatoire des populations grecques et turques. « La maison de Kemal » condense à elle seule la douleur de ces destins, en un court et poignant récit dans lequel une femme turque, véritable allégorie de la nostalgie, revient hanter une maison qu’elle a habitée étant jeune. L’Histoire selon Yorgos Ioannou s’incarne dans le quotidien des êtres, s’invitant souvent brutalement au beau milieu de leurs vies, comme dans « La Loume », qui s’ouvre sur la pendaison par l’armée allemande de l’époux d’une jeune femme, ou dans « Le Medium », où l’on assiste au bombardement puis au gigantesque incendie de Thessalonique. Les années d’Occupation ont été lourdes, et humiliantes, on le saisit à la lecture des « Citrons », qui dans des pages d’une grande violence physique et symbolique, montrent comment des soldats allemands retournent honteusement la population, en traitant de manière odieuse un vieux député démocrate. Mais Ioannou n’oublie jamais la complexité de l’existence, et les événements n’empêchent pas un des personnages d’avoir pour ami un Allemand. Chaque narration, conduite à la première personne, nous offre une réalité soumise au tamis d’un regard, de sorte qu’aucune prétention à une vérité historique unique ne s’affiche ; d’ailleurs cette multiplicité de "
Delphine Descaves
Le seul héritage de Yorgos Ioannou - Traduit du grec par Antigone Vlavianou, La Différence, 171 pages, 15 €
Domaine étranger Citrons amers
juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84
| par
Delphine Descaves
Un livre
Citrons amers
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°84
, juin 2007.