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Domaine étranger L’atelier de Coetzee

juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84 | par Jean Laurenti

Ce recueil de textes puisés dans diverses périodes de la vie du Nobel sud-africain (né en 1940) permet de découvrir l’œuvre du critique et d’approcher d’un peu plus près la personnalité d’un écrivain secret.

Doubler le cap

Essais et entretiens
Editions Seuil

La publication en français d’un premier ensemble d’essais de J.M. Coetzee est une très bonne nouvelle pour les lecteurs du prix Nobel de littérature 2003. Tous ceux qui se sont immergés dans quelques-uns de ses livres (douze sont disponibles au Seuil) ont fait une expérience d’une intensité somme toute assez rare dans la littérature contemporaine. L’expérience de la confrontation à une œuvre dont la dimension politique (nourrie par une froide colère) ne se déploie jamais au détriment des personnages : sans jouer sur les registres de l’identification ou de la sympathie forcée, Coetzee nous fait partager un moment de la destinée d’êtres pris dans les tensions et les déchirements d’une Afrique du Sud marquée jusqu’au cœur par le mal du colonialisme et du racisme.
Roman en forme de parabole (En attendant les barbares), récits de formation (Scène de la vie d’un jeune garçon, Vers l’âge d’homme), chronique de la destruction d’un tissu social (Disgrâce), traversée de l’enfer (Michaël K, sa vie son temps), huis clos monstrueux (Au cœur de ce pays)… Les livres de Coetzee sont tous différents, mais ils ont en commun une manière singulière frontale, sans être heurtée ni outrée de s’attaquer à leur objet : ils sont l’espace dans lequel va se déployer un processus de décomposition, au terme duquel un monde va disparaître qui de toute façon était devenu invivable.
On savait que Coetzee, qui depuis quarante ans enseigne la littérature dans diverses universités anglo-saxonnes, était un grand lecteur. L’ombre des plus grands Kafka, Faulkner, Conrad est quelquefois décelable dans ses romans ; deux d’entre eux, Foe et Le Maître de Petersbourg, sont un hommage direct à deux grands classiques de la littérature : Daniel Defoe et Dostoïevski.
Ce recueil permet d’accéder à une part du matériau dans lequel l’écrivain sud-africain a puisé pour nourrir sa propre création et pour aiguiser son regard sur le monde dont il est issu, l’Afrique des oppresseurs blancs. Pas plus que ses romans, les essais de Coetzee ne sont des textes aimables, séducteurs. « Je crois en l’économie des moyens, dit-il. Une prose économe pour décrire un monde économe ; c’est un côté peu attrayant de mon caractère : il a exaspéré les gens qui ont eu à partager leur vie avec moi. » Le lyrisme et l’hagiographie sont des manières qui, en effet, lui sont définitivement étrangères. Il leur préfère de loin une certaine distance, une démarche méthodique affinée au long de plusieurs décennies de compagnonnage avec ces textes. Outre les essais critiques, l’ouvrage propose deux entretiens passionnants qui permettent d’appréhender quelques traits majeurs de la pensée de Coetzee : « Nous écrivons parce que nous ne savons pas ce que nous voulons dire. Écrire nous révèle ce que nous voulions réellement dire au départ. (…) La vérité est quelque chose qui advient dans le processus de l’écriture, ou qui émane du processus de l’écriture. »
Cette question de la vérité en vient assez logiquement à traverser celle de l’autobiographie, cette « sorte d’écriture de soi dans laquelle on est obligé de respecter les faits de son histoire. » Des faits qu’on sélectionne « en fonction de son objectif qui ne cesse de se modifier. » Concernant Nabokov, Coetzee se montre très sévère sur sa façon de narrer le paradis perdu de la Russie d’avant la Révolution de 1917, « comme si les bolcheviques étaient responsables de lui avoir volé son enfance ». Comme si la nostalgie l’empêchait « d’envisager la nature de sa perte dans sa plénitude historique. »
À ce sujet, on trouvera un très bel essai sur l’art de la confession littéraire, à travers les œuvres de Rousseau, Tolstoï et Dostoïevski : passant et repassant sur les motifs qui sont au cœur de l’aveu, Coetzee en renverse les finalités profondes et reconstruit les discours analysés à partir des notions telles que celles de désir et de honte, cherchant à déceler le moment « où le locuteur croit dire une chose, alors qu’en » vérité « , il dit quelque chose de très différent. »
De factures très diverses, ces essais permettent de retracer le parcours intellectuel de Coetzee : les réflexions consacrées à l’œuvre de Beckett remontent à sa formation en linguistique structurale, à l’époque où il préparait sa thèse de doctorat sur l’auteur de Watt et Molloy au Texas, dans les années 60. Un essai sur Musil revient sur le rôle de Martha, son épouse, et celui de quelques figures féminines qui ont accompagné l’auteur de L’Homme sans qualités qui voyait dans Nietzsche, davantage que dans Freud, son « véritable guide dans le royaume de l’inconscient. » Dans le texte consacré à « L’oisiveté en Afrique du Sud », Coetzee met en lumière les ressorts de la rhétorique raciste qui s’est développée à l’égard des populations natives (les Hottentots) à partir du XVIIe siècle. Les derniers chapitres sont consacrés à quelques grands écrivains contemporains dont l’œuvre a été nourrie par la révolte contre l’apartheid : Nadine Gordimer, Doris Lessing et Breyten Breytenbach. Ce dernier, poète, peintre et romancier qui exprime ainsi son attachement à l’Afrique : «  (elle) fut la première à parler. J’ai été prononcé une fois pour toutes. »

Doubler le cap
Essais et entretiens

J.M. Coetzee
Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Jean-Louis Cornille
Éditions du Seuil
346 pages, 23

L’atelier de Coetzee Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°84 , juin 2007.
LMDA papier n°84
6,50 
LMDA PDF n°84
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