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Poésie La solitude du torero

juillet 2007 | Le Matricule des Anges n°85 | par Emmanuel Laugier

À la suite de Leiris, Bergamín ou encore Coupry/Clément, Francis Wolff signe un livre profond et contemporain sur la tauromachie.

Philosophie de la corrida

L’art et le combat de la corrida ressemblaient, avant sa première grande révolution au XVIIIe siècle, à des joutes populaires, bruyantes et hasardeuses, sans aucune codification. Au siècle des Lumières, rappelle Michel Leiris dans La Course de taureau, Francisco Romero invente la muleta (l’étoffe rouge qui servira à placer la charge du taureau), Costillarès estoque (donne la mort) d’une façon qui est encore la même aujourd’hui, Pepe Illo livre le premier grand traité de tauromachie. Mais il faut attendre 1912, c’est-à-dire l’entrée de Belmonte dans le cercle des arènes pour que se produise une seconde révolution, que Francis Wolf, dans son formidable essai, met en parallèle avec la modernité de Stravinski. Jusque-là, le combat consistait à éviter prestement la charge du taureau grâce à la muleta. L’estocade y était le moment le plus attendu. Avec Belmonte s’invente un style plus statique, fait de quiétude et d’immobilisme. José Bergamín voit justement en Belmonte l’invention de toute « cette histoire de cadence ou de rythme bien tempéré dans la course de taureaux ». Dans ce combat à mort entre l’homme et l’animal se recherche une alliance, où s’exprime toute l’éthique retenue (stoïcienne) du torero. Son rôle (qui est aussi son être) consiste à savoir « tromper sans mentir » l’animal en entrant sur son terrain, pour transformer son attaque sauvage (rectiligne) en une série de courbes, de cercles dessinés, où il modifie son attaque et perd son animalité primitive.
La question centrale de Philosophie de la corrida est celle de sa raison d’existence. « Qu’est-ce que la corrida ? » est d’abord l’interrogation d’un acte poussant la vie à se risquer (jusqu’à la mort) face à la corne du taureau. Francis Wolff développe ce point en montrant comment s’entremêlent le savoir de toréer au devenir-torero qui, lui, le conduit à être exceptionnellement au-dessus de lui-même comme pour se sortir de l’espèce humaine. En dégageant « dix commandements », le philosophe explique comment la morale universaliste, qui « sépare le bien et le mal et dresse des obligations et des interdictions », s’oppose à l’éthique « torera ». Mais « Le récit de la corrida, ajoute-t-il, pour être bien compris, doit être conté à partir de la fin ». La mort donnée au taureau de combat est le dernier face à face, inéluctable (sauf en cas de grâce), l’acte le plus nu et le seul commandement tauromachique par lesquels la fin coïncide avec la sortie vierge de l’animal du toril. Si le troisième chapitre « Pourquoi le taureau meurt ? » décrit les faits de corrida dans ses trois tercio (la pique à cheval, les banderilles, et le tercio de muerte), c’est aussi pour souligner que « toutes les actions et figures de la corrida ne sont que le développement anticipé du geste suprême [estocade] qui les concentre et les justifie rétroactivement ».
C’est bien la relation contractuelle entre le torero et le taureau qui est ici en jeu : c’est-à-dire un nombre codifié de règles, par lesquelles elle se sépare du sacrifice ritualiste pour atteindre son éthique. Celle qui prescrit, par exemple, que le taureau doit « demeurer le plus opposé à l’homme pour qu’il puisse le combattre », qu’il doit être l’adversaire ; que le torero ne doit ni le manipuler, ni l’aveugler, soit croiser les vertus cardinales du combattant : courage, vergogne, domination et loyauté. Francis Wolff ne pouvait alors éviter de donner une longue réflexion sur l’être du taureau et sur « nos devoirs vis-à-vis des animaux en général et des taureaux de combat en particulier ». Cette partie déconstruit les confusions morales du rejet de la corrida, en rappelant quelles valeurs incarnent le taureau de combat (qui n’est ni domestique, ni marchandise), car « la règle fondamentale de la corrida exprime une asymétrie absolue entre les deux protagonistes du drame et un antagonisme de leurs destins ». Le sens de ce chapitre tue dans l’œuf l’idée d’un droit des animaux (que le régime nazi avait inscrit dans sa politique), et rappelle quels devoirs les hommes leur doivent en pensant « la singularité des espèces et la spécificité des relations qui nous lient à chacune ». Par des exemples concrets et descriptifs, l’essai de Francis Wolff décline de bout en bout, de l’impureté de la corrida à l’éthique de la liberté de Paco Ojeda ou de José Tomas, les valeurs de respect souverain, ainsi que celles qui incombent à la résistance et à l’endurance que se doit le torero, pour tenir son site, celui de la charge animale, et garantir, à la fin, sa raison d’existence.

Philosophie de la corrida de Francis Wolff, Fayard, « Histoire de la pensée », 338 pages, 20

La solitude du torero Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°85 , juillet 2007.
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