Mort pour toujours
Bosch et Bruegel : on pense à ces peintres lorsqu’on pénètre dans le récit du Néerlandais Erwin Mortier. Vues à travers le regard d’un garçon de 5 ans, la vieillesse, la mort, la nature, s’animent des reflets crus de la dégénérescence. Une tante de l’enfant pue ainsi « le genièvre et pas l’intérieur de l’armoire de la sacristie à l’église ». On retrouve les nez crochus, les longs fils de cheveux gris, la peau ridée et tannée des personnages monstrueux des tableaux, et même, détail réaliste, une « dent coupante qui dépasse de sa lèvre ». La famille baigne dans la religion catholique. Pas celle de l’illumination céleste et du paradis, celle du péché et de la damnation : « Les sœurs parlent de purgatoire et lui font croire qu’elles pensent voir son âme, noire de suie, à travers ses vêtements ». On pense aussi à Brel, lorsque les vieux hantent ces « pièces où rien ne se passe sauf respirer ». La maladie est omniprésente. L’enfant, brûlant de fièvre au début du livre, peine à guérir, malgré les prières des siens. Dans cet univers pourrissant, le jeune garçon garde pourtant une puérile fraîcheur, seule éclaircie dans ce huis clos étouffant. « Si la loupe ne grossit pas assez la toux, il collera son oreille contre ses omoplates ». Sa naïveté enfantine adoucit la maisonnée et participe à la curieuse alchimie, mélange de trivialité et de poésie, mise en place par l’auteur. Grâce au style imagé et aux subtils glissements entre les dialogues et les pensées imbriquées, le lecteur prête à l’enfant les pensées qui sont celles du narrateur. Comment vivre le deuil quand on a 5 ans ? Comment répondre ? Peut-être avec des idées simples et définitives, aptes à décrire une réalité qui nous dépasse à tout âge : « Etre-mort-pour-toujours est plus long que garder les yeux fermés quand maman rince tes cheveux pleins de savon ».
Franck Mannoni
Les Dix Doigts des jours d’Erwin Mortier
Traduit du néerlandais par Marie Hooghe
Fayard, 106 pages, 12 €
Domaine étranger Mort pour toujours
juillet 2007 | Le Matricule des Anges n°85
| par
Franck Mannoni
Un livre
Mort pour toujours
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°85
, juillet 2007.