Après une longue période de coma, le narrateur du premier roman de Tom McCarthy doit réapprendre le moindre geste. Il lui faut aussi reconstituer son identité : « C’était comme si mes souvenirs avaient été des pigeons, l’accident, un grand bruit qui les aurait effrayés ». Pour lui, c’est la fin de l’évidence, de la routine, de tout ce qui peut rendre une existence agréablement banale. Un traumatisme psychologique qui ne se guérit pas avec les épuisantes séances de rééducation que lui impose le corps médical. Grâce à l’argent obtenu au titre de son indemnisation, le personnage, toujours plus perturbé, décide de recréer jusqu’au moindre détail un immeuble de son passé et ses habitants. Il engage alors une batterie d’architectes et des figurants qu’il appelle des reconstituteurs. Cette maison de poupée grandeur nature doit lui permettre de renouveler à l’envie ce sentiment de déjà-vu, cocon intime et rassurant où le temps s’arrête et le laisse comme suspendu. Évidemment, rien n’est jamais assez parfait pour atteindre ce degré de précision métaphysique. L’immeuble ne lui suffit plus. Bientôt, il lui faut reconstituer une scène de crime en pleine rue. Cette incursion dans un esprit malade possède la force des récits racontés à la première personne. Elle invite à suivre la chute d’un individu sans aucun refuge rationnel : tous ceux qui gravitent autour du démiurge, grassement payés, le suivent sans jamais remettre en cause son projet. Tom McCarthy construit ainsi un huis clos psychotique, face à face déstabilisant entre le lecteur, présumé sain d’esprit, et un personnage aux délires totalitaires.
Et ce sont les chats qui tombèrent de Tom McCarthy - Traduit de l’anglais par Thierry Decottignies, Hachette littératures, 380 p., 22 €
Domaine étranger État de choc
septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86
| par
Franck Mannoni
Un livre
État de choc
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°86
, septembre 2007.