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Domaine étranger Vollmann le démiurge

novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88 | par Thierry Guinhut

Au cœur des totalitarismes du siècle dernier, les caresses symphoniques et amoureuses se répondent autour du compositeur Chostakovitch.

Décentrer la terre

Une fois de plus Vollmann est prolixe. Hamburger aux cent couches de viande et de pain, ce roman destiné aux appétits pantagruéliques est cependant l’un des aliments littéraires les plus roboratifs qui soient. Le massif alpin allait-il accoucher d’une demi-souris ? En effet, proposer du même coup Hitler et Staline, les plus grands totalitarismes du XXe siècle et de surcroît la question de l’art pouvait paraître risqué.
Central Europe est à la fois une histoire de la violence européenne et d’un parcours d’une des plus grandes aventures artistiques du siècle : celle du compositeur soviétique Dimitri Chostakovitch, mais aussi de ses femmes, de celles de Staline, de Fanny Kaplan, qui tenta d’assassiner Lénine, d’Akhmatova la poétesse… On rencontre également un cinéaste, Roman Karmen, qui filma la libération du camp de concentration de Majdanek, les généraux Vasslov et Paulus, tous chapeautés par le « somnambule » (Hitler) et le « réaliste » (Staline). Malgré le foisonnement d’acteurs et de figurants, cet immense opus est basé sur « l’équation morale entre le stalinisme et l’hitlérisme » et sur « un triangle amoureux imaginaire » : la bisexuelle Elena, son mari Karmen et son amant Chostakovitch, ce « béni-oui-oui », qui est peut-être le personnage le plus fouillé. On devine que la fresque est agitée de main de maître par un grand orchestrateur : Vollmann lui-même, qui fait de Chostakovitch son double en proie à la nécessité de construire et conduire son œuvre parmi les écueils politiques et meurtriers du stalinisme, sans déchoir devant lui-même. C’est en quelque sorte ce perpétuel débat éthique entre l’art et la collaboration avec les puissances totalitaires, rouges ou brunes. Le « monde sous les touches du piano » contre le monde où les hommes sont broyés… Des symphonies à « la dimension épique et panoramique » peuvent-elles racheter l’Histoire ?
Qui est le narrateur omniscient ? Officier du régime stalinien, il est lui aussi sensible à la beauté d’Elena, qu’il a pourtant arrêtée. Ce digne espion communiste, ce manipulateur et tueur expéditif, sans remords, n’ignore rien des individus, de leurs talents politiques, militaires, scientifiques et artistiques, y compris leurs amours, peurs et dissidences plus ou moins assumées. Mais il est de surcroît un officier allemand qui jette avec Heidegger les livres de Freud dans le brasier, puis assiste aux premiers vols à réaction préparant les V2. Cette bicéphalie, qui est une trouvaille, fait du narrateur doué d’ubiquité un monstre terrible et fascinant, comme une sorte d’entité secrète du totalitarisme.
Rejetons nos appréhensions. On ne s’ennuie pas un instant dans cette polyphonie. Entre le choc des armes et des idéologies, les caresses des notes et des corps amoureux nous offrent les superbes pages lyriques que sont ces correspondances musicales et érotiques lorsque Elena est à l’origine de l’opus 40 de Chostakovitch.
Outre un monumental essai de 4000 pages sur la violence, inédit en français, William T. Vollmann (né en 1959) continue la production de Sept Rêves, « histoire symbolique du continent américain en sept volumes », dont nous connaissons Les Fusils, sans compter les 940 pages de La Famille royale, deux beaux livres, quoique pas aussi continuellement passionnant que ce Central Europe… Touche à tout, il ne crée pas seulement un monde, mais un cosmos littéraire. On n’en aura pour preuve sa contribution à l’histoire des sciences lorsqu’il produit son Décentrer la terre, sur « Copernic et les révolutions des sphères célestes ». On comprendra qu’il s’agit là d’un véritable démiurge littéraire, d’une encyclopédiste faustien en ordre de bataille romanesque qui a su écrire son Guerre et paix, dans lequel les temps de paix sont plus brefs et plus menacés que ceux de Tolstoï : ce sont ceux de l’art et de l’amour.

William T. Vollmann
Central Europe
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro
Actes Sud, 928 pages, 29,80
Décentrer la terre
Traduit par Bernard Hoepffner et Catherine Goffaux
Tristram, 320 pages, 23

Vollmann le démiurge Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°88 , novembre 2007.
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