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Poésie La main réparatrice

janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89 | par Richard Blin

Génie singulier - anatomiste, obstétricien, prothésiste et surtout grand chirurgien - Ambroise Paré (1510-1590) a inspiré Jean-Michel Delacomptée et, dans une moindre mesure, Jean-Louis Giovannoni.

Ambroise Paré : Main savante

S’emparer (suivi de) Des Monstres et prodiges

Soigner, soulager, tailler dans le vif, guérir en un temps où n’existaient ni radiographie, ni anesthésie, ni antisepsie, ni analgésiques, relevait du défi et du sacerdoce. Amplement justifié donc l’exercice d’admiration auquel se livre Jean-Michel Delacomptée dans l’hommage qu’il rend à Ambroise Paré, l’un des pères de notre chirurgie. En portraitiste, et non en biographe - « Je ne cherche pas à tout dire des vies mais à en extraire la quintessence » - et fidèle en cela à l’esprit de la collection « L’Un et l’Autre » (« Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu’une passion les anime. »), il s’attache donc à saisir au plus juste le geste du praticien, et à restituer, par touches, la singularité de sa vie.
C’est vers 1530 qu’arrive à Paris, Ambroise Paré. Après avoir servi chez un barbier (pour apprendre à manier le rasoir et à pratiquer des interventions mineures), c’est à l’Hôtel-Dieu qu’il va « sculpter sa main » et se former aux cinq opérations de chirurgie : ôter le superflu ; remettre en place ce qui est sorti ; séparer le continu ; joindre le séparé ; aider la nature dans ce qui lui fait défaut. Apprentissage « facilité » par les épidémies - on mourait beaucoup et l’on disséquait à tour de bras pour essayer de comprendre les origines de la mort. Puis ce furent les guerres. Ambroise Paré a 26 ans lorsqu’il part, en tant que chirurgien, pour l’Italie, avec les troupes chargées d’occuper le Milanais. Il va y découvrir l’horreur des blessures nouvelles dues à l’emploi de l’artillerie et à l’usage généralisé des arquebuses et autres « bâtons à feu ». Blessures inconnues qui obligent « à examiner le corps humain d’un œil neuf, à improviser des médications, à inventer des instruments auxquels personne n’avait songé ». C’est ainsi que Paré modifiera la façon de les traiter et de les panser. Au lieu d’y verser de l’huile de sureau bouillante, avant d’y porter le fer rouge, il imagine d’appliquer sur les plaies un baume de son invention, qu’il remplacera bientôt par celui d’un chirurgien italien, obtenu à partir d’une préparation où l’on fait bouillir, dans de l’huile de lys, de petits chiens vivants…
C’est encore à l’école de la guerre - contre les armées de Charles Quint puis contre les Huguenots - qu’Ambroise Paré doit la plus novatrice de ses découvertes : la ligature artérielle au cours des amputations. C’est sur le tas, au gré de l’observation et de l’urgence, qu’il a acquis l’essentiel de ses connaissances. Lui qui ne savait ni le latin ni le grec a plus appris de l’approche des chevets de souffrance ou d’agonie que du « caquetage » des chaires magistrales. Et ce qu’il a appris, il le livre, en français, au fil des 29 volumes de ses Œuvres (et c’est l’un des aspects les plus féconds de son influence : pour la première fois des concepts médicaux sont divulgués en langue vulgaire), au grand dam d’ailleurs, de la caste des clercs à bonnet carré de la Faculté de médecine. Désormais, le chirurgien a sur le médecin « l’avantage de celui qui voit sur celui qui suppute. Il est l’œil qui distingue le désordre sous l’effraction externe, l’ordre des dommages sous le chaos des plaies. »
À une époque où règnent encore superstitions et remèdes extravagants (« Contre le mal de dents se scarifier les gencives avec la dent d’un homme assassiné ») ; où le sang fonde la différence des sexes, où l’on pense que le lait maternel n’est que du sang blanchi ; où la poudre de licorne passe pour un antidote universel et où l’on croit à l’efficacité du jus de momie pour soigner les blessures causées par les chutes ou les chocs, il faut imaginer les progrès qu’apportent les trouvailles d’Ambroise Paré. Mais si ses prouesses et son souci du patient en ont fait le premier chirurgien de son siècle - il a servi cinq rois -, sa vie privée n’en demeure pas moins mystérieuse. Jamais il ne l’évoque. On sait qu’il eut neuf enfants, dont six avec sa seconde femme, épousée à 18 ans alors qu’il en avait 63, et que trois seulement survécurent, succession de deuils dont il ne parle jamais. Un homme à qui toutes les calamités rencontrées n’ont jamais fait perdre le bonheur d’exister, et qui n’omettait jamais de rappeler que si le chirurgien propose, c’est Dieu qui dispose.
Mais la main qui tranche, qui panse et qui écrit qu’était Ambroise Paré, n’a pas toujours su faire la part du fabuleux et celle de l’avéré. Dans un traité illustré - Des Monstres et Prodiges - il tente ainsi une classification et une « explication » de l’origine des monstres. Dans S’emparer - et selon le principe de la collection qui veut « une écriture d’aujourd’hui sur, contre, tout contre, une écriture ancienne » - Jean-Louis Giovannoni s’appuie sur ce traité pour nous proposer une méditation poétique sur la différence et l’altérité, portant à sa façon, le bistouri au sein même du sujet écrivant, là où s’affrontent voix et formes d’écriture. Du Jean et du Louis de son prénom, il fait des frères siamois, et s’inspirant des explications de Paré - monstres par excès ou défaut de semence, dus à la force de l’imagination ou à l’étroitesse de la matrice -, il s’amuse du double jeu de leur regard, de leurs envies, et de leur impossible vie. Un texte qui est comme la doublure de cette expérience intérieure, qu’il nous livre à vif, sur fond de quête des origines et d’inatteignable vérité.

Ambroise Paré,
la main savante

Jean-Michel
Delacomptée
Gallimard, « L’Un et l’Autre »
280 pages, 19,90
S’emparer
Jean-Louis
Giovannoni/
Des monstres
et prodiges

Ambroise Paré
Editions 1 : 1
80 pages, 12

La main réparatrice Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°89 , janvier 2008.
LMDA PDF n°89
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