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Choses vues Un cirque en hiver

janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89 | par Dominique Fabre

À cette époque de l’année chez moi on a bien de la chance, les lions sont revenus. Les cirques sont arrivés sur la pelouse de Reuilly (Pinder, Bouglione, de Chine et de Russie). Des centaines de gens viennent visiter la ménagerie, mes enfants sont trop grands maintenant mais j’y suis quand même allé faire un tour. Il y avait des dromadaires à l’air triste comme s’ils avaient tout compris de nos vies, et dans sa cage, un grand tigre tout seul exprès attendait son quatre heures avec un air super fâché. Un rêve fréquent : les animaux d’un cirque au chapiteau plus grand que le stade de France à Saint-Denis quand on regarde vers le ciel se sont évadés en douce pendant la nuit, et ils nous ont remplacés dans la vie. Ils attendent sur le banc du bus PC2, ils font la caissière du métro, le gardien à l’entrée du bahut où je bosse, le barman du café à Reuilly-Diderot… Ils sont très gentils avec nous, comme si nous étions des invités de marque dans leur vie. J’ai passé une bonne heure dans la ménagerie, avec les animaux. Il faisait très froid mais dans les grandes tentes des éléphants, il y avait des sortes de lampes à arc pour les réchauffer, ça marchait bien pour moi aussi. J’avais le blues, à cause de tout ce temps passé. Ne plus jamais être un enfant.

Ça tombe bien le cirque parce que comme beaucoup de gens je n’aime pas la période des fêtes de fin d’année. Par chance dans mon quartier de la porte d’Ivry on n’a pas beaucoup de décorations de Noël. Mais depuis trois semaines, les Roumains sont venus prendre leur quartier d’hiver. C’est leur saison. Près du terminus de la ligne 14, un type reste des heures à genoux le cul en l’air, le nez sur le trottoir, il pourrait faire fakir, ce gars-là. À la boulangerie, un autre au pied d’un sophora avec son môme d’une dizaine d’années. Ils glandent toute la sainte journée. Juste au coin de ma rue, deux bonshommes moustachus que j’ai croisés dans quel Tintin déjà ? En revenant du cirque par le PC2, j’ai aperçu leur campement sur une friche très étroite entre les nouveaux bâtiments et le boulevard des Maréchaux. Une dizaine de caravanes. Derrière les grilles il y avait de la gadoue, des habits comme abandonnés sur une corde à linge attachée à la ferraille usée de la grille. Où iront-ils, quand le chantier de construction sera achevé ? Il reste peu de place libre par ici.

Les no man’s land s’amenuisent, ceux qui voyagent seront de plus en plus interdits. Un jour, nous serons donc tous cachés dans des maisons et plus personne ne connaîtra cette autre vie. Dans le bus PC2, on est pourtant déjà coincés ! On ne peut même pas ouvrir un livre (surtout si on est poli). À nous voir comprimés comme ça on se dit que ça va finir par craquer, mais en fait non, on nous demande de nous pousser, de tenir encore un peu moins de place, et ça marche, jusqu’à présent. Les gens du voyage savent trouver les bons endroits. Ils se sont même installés sur l’ancien chemin de fer de la petite ceinture, trois jolies tentes, un emplacement royal, s’il ne faisait pas si froid. Je me demande comment ils ont fait pour descendre ici, j’habite à deux minutes mais ça fait plusieurs mois que je cherche un trou dans la grille, un moyen de descendre la pente sans me casser la gueule. Faut qu’on se parle.

Les tomates du jardin de mon vieux voisin ont fini par pourrir sur pied. Il vient encore jeter un œil sur ses plantations mais quand je le croise dans la rue, il a l’air préoccupé, il tient des grands discours furieux. Je me fais du souci aussi pour la jolie Chinoise qui dessine sur le trottoir des Tang frères les prénoms des gens en couleur, au pinceau. Avec le froid elle va faire la même chose dans les couloirs du métro de la place d’Italie mais à deux reprises, je l’ai vue prendre fissa ses clics et ses clacs, elle a le nez pour repérer les flics en civil (boucles d’oreilles, jeans rapiécés, cuir et santiags, par groupes de trois). Ça sent le chômage technique. Elle a des cheveux magnifiques et porte un battle dress comme dans les mangas que mon fiston regarde le matin. Bref, on est un hiver à Paris.

Je n’irai pas non plus aux décorations de Noël des magasins. Un type que je connais a lancé une grosse pierre sur la vitrine d’un Pimkie, paraît-il qu’il était à jeun. Il est bon pour la grosse amende, évidemment. Un autre type que-je-connais-qui-le-connaît aussi m’a appelé pour qu’on en parle. Maladie ? Happening ? Révolte ou simple coup de sang ? On était tout excités. On l’a invité à manger, on voulait vraiment savoir. Il en avait seulement envie depuis qu’il était gosse : coup de folie. Il en avait pour mille euros et quelques mais bon, c’est le genre de plaisir qu’on ne s’offre pas souvent dans une vie. Il allait bouffer des pâtes et voilà tout. On a vraiment passé une bonne soirée. Je me suis souvenu qu’enfant, un clochard d’Annecy bousillait une vitrine à chaque début d’hiver, pour qu’on le mette au chaud jusqu’au printemps. Est-ce qu’on le laisserait crever de froid, aujourd’hui ?

Ce matin - six heures et quart - il y a du brouillard dans les tours de la porte d’Ivry. Elles en sont comme ouatées et c’est assez merveilleux à regarder, à cause des lumières des apparts. Le monde, parfois, redevient très bizarre, et très grand. Pourtant nous avançons sans y prêter trop attention, car les arbres sont nus et nos manteaux boutonnés. Cet aprèm j’irai voir si le lac Daumesnil est bien gelé, des fois qu’on puisse marcher dessus. J’irai revoir les tigres aussi, et les éléphants qui réchauffent. Et vous, vous allez faire quoi ?

Je vous souhaite une année belle à tout casser.

Un cirque en hiver Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°89 , janvier 2008.
LMDA PDF n°89
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