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Domaine étranger La lutte finale ?

avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92 | par Thierry Cecille

Enrico Fenzi, ancien membre des Brigades rouges, se retourne vers son passé : loin de n’être qu’un simple Journal, ce récit est une œuvre vibrante, l’évocation désespérée d’un espoir armé.

Armes et bagages : Journal des Brigades Rouges

Si Mai 68 fut, en France, l’aurore festive d’une décennie (ou presque) de luttes syndicales et de remises en cause de l’ordre ancien - moral et politique - débordé de toute part, il fut, chez nos voisins, annonciateur de lendemains plus orageux. La Fraction armée rouge en Allemagne et les Brigades rouges en Italie délaissèrent la simple rhétorique pour des armes plus meurtrières : attentats et assassinats allaient ensanglanter ces deux pays. C’est qu’il s’agissait, déclaraient-ils à longueur de tracts et de manifestes, d’empêcher le retour du fascisme, toujours menaçant, et d’éveiller la conscience des prolétaires. « En frapper un pour en éduquer cent » ne cessaient de répéter les Brigades rouges, de leurs premières actions en 1970 à leur disparition progressive dix ans après.
Enrico Fenzi, né en 1939, était, en la furieuse année 68, un universitaire apparemment bien éloigné des préoccupations ambiantes : spécialiste de Dante et de Pétrarque, on aurait pu le croire partisan du mandarinat ouaté des cercles académiques. Il avoue d’ailleurs que son amour tout classique de l’ordre le tint quelque peu éloigné de l’agitation des étudiants - et un peu méprisant. Cependant il se savait « de gauche », et la figure de son père, militant communiste clandestin, persécuté bien entendu sous le fascisme, ne pouvait se laisser oublier. Progressivement, de rencontres hâtives en rendez-vous clandestins, de missions de renseignement anodines à des actions bien plus sanglantes, il devint un brigadiste. Arrêté une première fois, sur dénonciation, en 1979, il fut rapidement acquitté, mais, loin de se résigner, il décida d’entrer dans la clandestinité (« une coquille impénétrable et provisoire, une pure structure de survie ») jusqu’à son arrestation en 1981 - des années de prison l’attendaient alors.
Contrairement à ce qu’indique le sous-titre, nous ne lisons pas ici les pages d’un Journal que Fenzi aurait tenu alors. Il s’agit bien plutôt d’une entreprise littéraire ambitieuse, d’une tentative de restitution, entre les mémoires et le roman, entre Proust (la première partie a pour titre « Intermittences ») et Conrad. Se tenant en équilibre, périlleux, entre la lucidité du présent de l’écriture et les illusions du passé, évitant les écueils de la nostalgie béate ou de l’amertume, Fenzi cherche avant tout à comprendre, à expliquer ce qui les a menés jusque-là, lui et ses camarades, dans ce « monde parallèle ». Seule la précision de l’écriture, seul le travail - littéraire - de composition peuvent permettre de rejoindre cette réalité-là, disparue et désormais difficilement imaginable. Les scènes sont minutieusement décrites, des plus violentes aux plus quotidiennes : un camarade se pend en prison, des discussions doctrinales, âpres et a posteriori dérisoires, n’en finissent pas, dans la moiteur d’une planque de banlieue, dans la cour d’une autre prison, Toni Negri (l’auteur aujourd’hui célébré d’Empire) subit une violente algarade d’un des fondateurs des Brigades rouges - dont il ressort secoué mais qui peut-être tient lieu de l’exécution prévue : il s’était par trop désolidarisé de l’ « organisation ». La plupart des portraits nous montrent des hommes droits, intègres jusque dans leurs illusions sanglantes, plus proches des personnages de La Condition humaine que des « démons » de Dostoïevski. S’il concède que certains faisaient preuve d’ « amoralité subtile » ou d’intolérance fanatique, il s’attache aussi à décrire la noblesse comme naïve d’un ouvrier acceptant le sacrifice puisque « son intelligence était son désespoir ». S’ils détruisaient des vies, les leurs et celles de leurs victimes, c’est parce qu’ils voulaient la liberté, pour les masses asservies. Mais leur destin est d’autant plus pathétique qu’ils se sont trompés : là où ils croyaient voir une naissance, c’était une mort, un deuil dissimulé, « un acte funèbre de fidélité au passé auquel nous voulions croire ; une violente immersion volontaire dans la défaite, pour la nier au moment même où nous la subissions. » Fenzi veut surtout, en cette introspection impitoyable, déchiffrer celui qu’il fut amené à devenir : « Je promenai partout la même perfection venimeuse du moi (…). Je devenais hargneux car je ne savais défendre autrement ma présomption d’omniscience ». Une fois qu’il s’était engagé (« Je voulais être comme eux et avec eux. Je le leur devais »), il aurait été indigne (et aussi suicidaire) de s’écarter, la moindre hésitation devenait traîtrise. Même si la violence était au bout de ce « chemin trempé de sang », il lui était impossible de faire marche arrière : « En profondeur, il n’y a pas eu d’interruption ou de saut immotivé, aberrant, mais une continuité qui a été la mienne et que je ne peux pas ne pas reconnaître comme telle, même dans l’excès de son achèvement, si je peux le nommer ainsi. » Enfin, après la prison et dans la solitude (c’est là le « prix payé » - même s’il est « peu de chose en comparaison du sang versé »), ce sera dans « cette zone de silence où bat le cœur du langage » qu’il trouvera la force d’écrire ces pages, confession sans reniement mais non sans remords.

Armes & bagages
Journal
des Brigades rouges

Enrico Fenzi
Traduit de l’italien
par Gérard Marino
Les Belles Lettres
327 pages, 19

La lutte finale ? Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°92 , avril 2008.
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