Entre sa mère, sa grand-mère et quelques tantes, Horacio Castellanos Moya a grandi dans une manière de gynécée. Durant toute son enfance il a été très entouré par les femmes. Par des femmes qui parlaient sans arrêt, qui jactaient, qui pépiaient, qui potinaient toute la sainte journée. C’est peut-être pour ça, c’est même à peu près certain, que la plupart de ses livres sont des histoires de voix. Dans Le Dégoût, traduit en 2003, c’était une voix belliqueuse à la Thomas Bernhard qui déversait sa prose bilieuse ; dans La Mort d’Olga Maria, l’année suivante, c’était une pipelette qui était aux manettes de la narration : ça n’arrêtait pas. Mais là, dans ce roman qui a d’abord paru aux éditions Les Allusifs il y a deux ans, c’est tout le contraire. Le personnage, Juan Alberto Garcia, est plutôt du genre taiseux, presque mutique. Lui-même le dit, page 76 : « Les mots n’étaient pas mon fort ». Il n’est jamais dans la parlote, mais dans l’action. Il agit. Et comme tout bon militaire, il obéit. Il faisait partie du bataillon Acahuapa, une sorte d’unité spéciale armée par le gouvernement salvadorien. Très spéciale, l’unité : c’était là une troupe d’assaut formée au nettoyage, un escadron entraîné à tuer. À tuer qui ? Ceux d’en face, ceux que la logomachie gouvernementale appelle « les terroristes », entendez, en fait, la guérilla marxiste contre laquelle, à distance, le gouvernement ricain se battait en faisant tourner la planche à billets verts. Reagan, on le sait, a été le sponsor privilégié de la guerre civile qui a déchiré le Salvador, et dont Horacio Castellanos Moya se sert comme d’une toile de fond.
Son personnage, Juan Alberto Garcia est une manière de brute épaisse. Du haut de son mètre 90 pour 90 kg de biscotos, c’est un beau bébé sans pitié. « Aucun des gars du peloton, que ce soit à poings nus, à l’arme blanche ou à l’arme à feu, n’avait jamais pu me battre ». Sa réputation d’invincibilité lui vaut le surnom évocateur de Robocop. Il fait la guerre comme un automate. Pas de sentiments, pas de conscience. Tuer ou être tué, c’est toute la question. Oui, tout est pour lui question de vie ou de mort. Il y a les faibles, qui trépassent, et les forts, qui s’en sortent ; la vie c’est simple comme un bon coup de fusil. Même démobilisé, cette philosophie mène encore son existence. Contrairement à ses camarades, Robocop, avant de rendre son treillis comme d’autres leur tablier, a mis de côté deux fusils AK-47, un M-16, une douzaine de chargeurs, huit grenades à fragmentation, un pistolet neuf millimètres. En souvenir ? Non, au cas où. Au cas où, par exemple, il se retrouvait à jouer les mercenaires ici et là. Même revenu à la vie civile, c’est toujours la guerre dans les esprits. Toujours la violence. De fait, ce roman est ultraviolent, et pas qu’un peu ; ça pétarade de partout, ça flingue, ça zigouille. Horacio Castellanos Moya a dû finir ce roman avec, en plus de l’encre, du sang sur les mains. Il faut dire que dans son genre, ce Robocop est un malade. Jamais il ne réfléchit avant de passer à l’acte. Ou alors, s’il turbine, c’est après le coup de feu, quand il est trop tard, que les douilles ont volé, quand il est en cavale. Que le sang est versé. Business ou expéditions punitives, tout ce à quoi il participe tourne mal. C’est coup fourré sur coup foiré, et Horacio Castellanos Moya s’en fait le greffier. Greffier, en effet, parce qu’il raconte tout ça avec froideur, se contentant d’enregistrer les faits et rien que les faits. Point de psychologie ici, non plus que de l’empathie. En tout il met de la distance. À ce propos Philippe Lançon a raison qui écrit en der de couverture : « Castellanos Moya est un prince de la distanciation ». Un prince, on ne sait pas, mais pour sûr c’en est un adepte. L’Homme en arme est un roman-témoignage, qui trouve sa place quelque part entre Tarantino et le Malraux, peintre de la guerre d’Espagne.
L’Homme
en arme
Horacio
Castellanos Moya
Traduit
de l’espagnol
par Robert Amutio
10/18
123 pages, 7 €
Poches Robocop au Salvador
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Anthony Dufraisse
Guerre, mort et violence : Juan Alberto Garcia ne connaît que ça. Dans un livre âpre et violent, Castellanos Moya s’en fait le greffier.
Un livre
Robocop au Salvador
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.