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Essais Chronique de l’exil

avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92 | par Didier Garcia

De l’Allemagne des Années folles à l’Allemagne de l’après-guerre : une autobiographie du fils aîné de Thomas Mann. Grandeur nature.

Né en 1906, « en un siècle d’anarchie morale et sociale », Klaus Mann eut la mauvaise fortune de voir le jour sous le double patronage de son père (qu’il surnommait « Le Magicien », prix Nobel de littérature en 1929) et de son oncle Heinrich Mann (l’auteur du Professeur Unrat, qui sera immortalisé au cinéma par L’Ange bleu et par les jambes de Marlène Dietrich). Dans la maison Mann, l’écriture était « une malédiction familiale », mais pour le jeune écrivain, une telle malédiction allait jeter de l’ombre sur sa propre carrière littéraire…
Dans les premiers chapitres, cette autobiographie ressemble à beaucoup d’autres : elle commence par l’évocation de l’enfance, avec ses mythes, ses légendes et ses jeux, considérés dans le miroir déformant de l’âge adulte (« On ne peut pas se fier au souvenir, et pourtant il n’y a pas d’autre réalité que celle que nous portons dans notre mémoire »). Une enfance quand même secouée à 8 ans par la Première Guerre mondiale, dont il retient surtout les privations alimentaires. Ce parcours d’une vie se poursuit par l’époque des grandes lectures, qui font se côtoyer Socrate, Whitman, Nietzsche, Strindberg, Rimbaud, Wedekind, Büchner, Rilke, Novalis, Stefan George, Herman Bang, et qui témoignent d’un goût prononcé pour le romantisme allemand. Il évoque ensuite ses premiers pas dans l’univers éditorial, qu’il réalisa bien avant d’avoir 18 ans. Une rencontre largement favorisée par la notoriété de son père : il lui suffisait de dire son nom, et toutes les revues s’ouvraient à lui. Klaus Mann n’était d’ailleurs pas dupe : « L’éclat tapageur dont s’entourèrent mes propres débuts ne se comprend - et ne s’excuse - que si on imagine, fermement érigée à l’arrière-plan, la gloire paternelle. C’est dans son ombre que je commençai ma carrière et il fallait que je me démène et me singularise pour ne pas passer totalement inaperçu ». On le suit alors dans ses séjours à l’étranger, le plus souvent en compagnie de sa sœur Erika, et dans quelques-unes de ses rencontres (Cocteau, Gide, et plus encore son ami René Crevel).
Cette autobiographie serait seulement l’histoire « d’un intellectuel entre deux guerres mondiales (…), toujours errant, toujours vaguant sans trêve ni repos, toujours inquiet, toujours en quête », en quelque sorte un parmi d’autres, si le national-socialisme n’avait décidé de gangrener l’Allemagne et de pousser Klaus Mann à s’exprimer publiquement sur l’arrivée d’Hitler au pouvoir. C’est alors qu’elle prend toute sa saveur. Commence pour le jeune Mann le temps de l’émigration. Ne pouvant supporter de rester en Allemagne (devenue « l’enfer, le domaine interdit, la zone maudite ») aux côtés d’Hitler (qui « répandait une puanteur »), il quitte son pays natal en mars 1933 pour se lancer, sans doute porté par la vague de l’émigration, dans un travail colossal : « J’écrivais avec appétit ; j’écrivais vite et bien, un livre par an, à quoi s’ajoutaient encore mes tâches de journaliste, des conférences, des articles, des textes pour le Moulin à Poivre (le cabaret de sa sœur Erika) et bien d’autres travaux supplémentaires ». Dès qu’il le peut, dans la plupart des capitales des villes européennes, Klaus Mann prêche la bonne parole, présente Hitler aux yeux incrédules du monde, invite les démocraties d’Occident à faire front contre lui… En 1936, il s’exile aux États-Unis avec sa sœur et toute la maison Mann (qui avait été très tôt déchue de sa nationalité allemande). Outre-Atlantique, il n’aspire plus qu’à devenir « un citoyen du monde de nationalité américaine ». En 1940, il abandonne sa langue natale pour l’anglais, et quitte définitivement l’autobiographie narrative pour des pages détachées de son Journal (qui couvrent les années 1940-1942), lesquelles seront suivies par un ensemble de lettres, qui courent jusqu’à un autre tournant : le rapprochement possible entre l’Est et l’Ouest, qui s’ouvrira sur la guerre froide.
Klaus Mann peut reposer la conscience tranquille : « si l’on ne fait rien pour accroître le nombre d’humains (il n’a pas eu d’enfant), au moins a-t-on à cœur d’approvisionner les pauvres garçons des époques futures en lectures intéressantes ! » Et à ceux qui verraient une simple fuite dans son exil, ces pages leur rétorquent qu’il a fui l’Allemagne, non la guerre. Aux États-Unis, il continue à défendre la démocratie, crée une revue littéraire qui accueille les signatures les plus prestigieuses de l’époque, et surtout presse l’administration américaine de lui accorder sa naturalisation, condition sine qua non pour s’engager dans l’armée. Et bien avant son suicide en 1949, c’est en tant que soldat américain qu’il sera envoyé sur le front en Afrique du Nord ainsi qu’en Italie.
Dans sa préface, Jean-Michel Palmier dit que le plus difficile, pour Klaus Mann, « c’était de se faire un prénom ». Il pourrait bien désormais être associé à cette autobiographie sans confession, dont il a su faire un document littéraire et historique de premier ordre pour comprendre l’Allemagne de la Weimar et celle des nazis.

Le Tournant
Klaus Mann
Traduit de l’allemand par Nicole Roche
avec la collaboration de Henri Roche
Actes Sud, « Babel »
692 pages, 12,50

Chronique de l’exil Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°92 , avril 2008.
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