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Vu à la télévision Tête plongeante

juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94 | par François Salvaing

Cauchemar de Timothée. Le syndicat de ses compagnes et ex tient congrès. Ordre du jour : son rapport au foot télévisé. Les compagnes procèdent à des additions et à des multiplications, préludes à des soustractions et à des divisions. Chez celle-ci tant d’heures, tant chez celle-là. Stupéfiant total : à raison de trois matches hebdomadaires plus deux émissions résumant les autres en France et à l’étranger, le susdit passe plus de sept heures par semaine à contempler des jeunes gens en maillot et culotte poussant une balle et des hommes mûrs en chemise et veste commentant les faits et gestes des premiers. Autrement dit quinze jours par an. Autrement dit plus de deux ans par demi-siècle. Le cauchemardesque syndicat vote à l’unanimité le fauchage volontaire des pixels télégéniques dans tous les champs d’activité et autres pelouses suscitant l’intérêt hébété de Timothée.

À propos de demi-siècle, Timothée se souvient d’un souvenir de son grand-père le premier match de foot télévisé en direct. Le mardi 24 juin 1958, la France rencontrait le Brésil en demi-finale de Coupe du monde. C’était au Moyen Âge du petit écran ! Une seule chaîne, en noir et blanc ! Aucune publicité avant ni après le match ! Aucun logo sur aucun maillot ! Aucun président(iable) dans les tribunes ! Que dis-je Moyen Âge ? Préhistoire ! Nuit des temps, où l’on n’aurait pas imaginé que puisse jamais faire la Une de presque tous les quotidiens, nationaux ou régionaux, imprimés, radiophoniques ou télévisés, la mort dans son lit d’un commentateur sportif, comme il arriverait au printemps 2008 avec Thierry Gilardi.

Timothée, rien qu’il ne sache sur le football. Les noms et surnoms, les forces et faiblesses, les tics et superstitions, des cinq cents joueurs de Ligue 1, de leurs entraîneurs, de leurs présidents. C’est le milieu sur lequel les télés lui en disent le plus et de très loin. Les parcours, les palmarès, les salaires, les primes, les suspensions, les blessures, les transferts, parfois aussi les transports amoureux, les écarts de conduite, voire les casiers judiciaires… Incollable Timothée. Bien plus expert dans ce savoir-là que dans tout autre. Et de n’être, en ce domaine, qu’un expert parmi des dizaines de millions ne lui gâte rien, au contraire. Ferveur des conversations de cafétéria les lendemains de matches… Les footballeurs exercent une activité il n’y en a guère d’autres dont n’importe qui se figure comprendre la gestuelle, l’organisation, les dysfonctionnements. Sur plusieurs chaînes, des émissions ont été créées, avec des « sur experts » (anciens joueurs au rancart, entraîneurs sans emploi), pour à la fois singer cette passion critique, l’encourager, la formater et la canaliser.

Au syndicat nocturne qui veut le priver de son spectacle préféré, Timothée concédera volontiers que le foot est filmé comme le reste. Pour atteindre l’affect, non pour stimuler l’intelligence. Plans rapprochés sur les contacts et les impacts. Rares plans larges, rarissimes plans d’ensemble permettant de vraiment voir les dispositifs et de deviner les tactiques, les calculs. Par ailleurs, du foot non plus on ne filme pas les conseils d’administration, les centres de décision. Cela posé, Timothée plaidera que le foot est une métaphore du monde, parfaitement mesdames ! Plus exactement du monde tel que le rêvent ses dirigeants. Sur le théâtre du foot, des travailleurs dont le lot universel est la précarité, sont dressés en rivaux les uns des autres : les soi-disant coéquipiers se disputant, plus ou moins sournoisement, pendant la semaine, à l’entraînement, le droit d’arracher, le week-end, plus ou moins férocement, à leurs semblables, sous maillot adverse, l’accès à une cote, à une place et à une rétribution supérieures. Tous acteurs consentants et même enthousiastes de leur transformation en marchandises. Sur le terrain (leur dépense physique cathodiquement exhibée) et en dehors (leur image mise au service démultiplié d’autres marchandises). Sur le théâtre du foot, également, effacement lancinant des nations (les clubs anglais représentant le comble de la tendance, qui n’alignent parfois aucun joueur indigène), sauf une fois tous les deux ans, coupes du monde ou continentales, en guise de foire aux joueurs et aux publicités. La planète transformée pour le foot en vivier d’humaine matière première pillée avec méthode et constance par les pays dominants, et par le foot en marché grand ouvert à leur production de biens de consommation. L’immigration mieux que choisie, passée et repassée au tamis, éjectable à merci. Sur le théâtre du foot, enfin, d’immenses foules réduites à l’état de publics sous permanente télésurveillance, n’arborant de banderoles que niaises ou obscènes, bornant leurs revendications à l’exécution de temps à autre d’un entraîneur, d’un président ou d’un arbitre, et consacrant leurs énergies à s’entretuer dans les gradins ou sur les aires d’accès aux stades. L’ordre même.


 Et conscient de tout ça, l’accusé persiste et stagne sur son canapé à contempler ses troupeaux de manchots ? s’exaspère l’assemblée des compagnes et ex.
Timothée hausse dans son sommeil des épaules d’esthète. Elle n’est pas née, mesdames, celle qui l’empêchera d’attendre, des heures de rang, l’orgasme d’une talonnade, d’une reprise de volée, d’une tête plongeante ou d’un retourné acrobatique !

Tête plongeante Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°94 , juin 2008.
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