À l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, vingt-sept pièces inédites, une de chaque pays membre, ont été sélectionnées, traduites et publiées aux Éditions théâtrales, associées pour l’occasion à Culturesfrance, dans une nouvelle collection « Traits d’Union ».Huit textes sont déjà disponibles depuis juin, les autres paraîtront en septembre puis novembre. Ces publications permettent de découvrir des auteurs inconnus en France, plutôt jeunes dans leur grande majorité. C’est une manière impressionniste et subjective de saisir un aspect de la jeune création théâtrale en Europe. Le lecteur prend plaisir à voir si certaines pièces entrent en résonance les unes avec les autres, ou quelles voix affirment au contraire leur singularité. En majorité, les pièces déjà parues sont des textes courts (à l’exception du Hongrois János Térey avec une saga qu’il situe dans les hautes sphères de l’industrie et de l’argent, sa trilogie prenant comme point de départ le Crépuscule des Dieux puis le Ring de Wagner et sa fable de l’anneau magique permettant de régner sur le monde).
La moitié des pièces proposées fonctionne comme des textes coups de poing, en lien étroit avec le plateau. Leurs auteurs posent violemment question, entre autres sur la place de l’art dans nos sociétés occidentales, et cherchent à déranger le lecteur par un côté provocateur et extrême. Ainsi, l’Espagnole Angélica Liddell avec Et les poissons partirent combattre les hommes sur la tragédie des clandestins : « Le soleil d’Espagne./ Il y a tant de plages en Espagne./ Quelle chance./ Quelle chance de vivre en Espagne./ Ramener le cadavre d’un Noir noyé./ Aller à la plage./ Sur une place d’Espagne,/ et en ramener un./ Un vrai cadavre sur une scène./ Si seulement je pouvais faire vomir le public,/ comme Dieu vomit les pauvres,/ comme les pauvres vomissent la boue (…) ». La dramaturge imagine que les poissons, mangeant les cadavres, se transforment en hommes et nous déclarent la guerre. L’Anglais Dennis Kelly propose également avec Débris une vision féroce de notre monde, transposée dans les rapports familiaux : première séquence, le père se crucifie le jour des 16 ans de son fils, sixième séquence, la naissance de Michèle, sa mère étant morte devant la télévision, le père continuant à zapper sur le football, Michèle est alors obligée de se débrouiller seule pour naître, têter le sein décomposé de sa mère et arriver à attirer l’attention sur elle. Le Danois Christian Lollike débute quand à lui Chef-d’œuvre par la déclaration du compositeur allemand Karlheinz Stockhausen : « Les avions qui ont percuté le World Trade Center le 11 septembre 2001 ont produit l’œuvre d’art la plus grandiose de tous les temps. » L’attentat du 11 septembre, les famines d’Afrique, les massacres du Rwanda sont mis sur le même plan qu’Hollywood ou la marchandisation de l’art, un amalgame dérangeant pour dénoncer notre société malade.
Le terrorisme est également le sujet d’Invasion ! du Suédois Jonas Hassen Khemiri, mais vu du côté dérisoire. La pièce démonte avec humour une mécanique sociale qui va faire d’un parfait inconnu un dangereux terroriste. Plusieurs passages sont savoureux, comme l’explication linguistique et absurde à propos du mot Abulkasem, le soi-disant grand terroriste…
Les autres pièces prennent le parti pris de plus de lenteur, du secret et d’une langue singulière comme Bulbus de l’Allemande Anja Hilling qui, à partir de deux faits divers, livre une parole de silences glacés pour tenter de raconter la brisure intime. Ou Risquons-tout du Belge Filip Vanluchene, qui met en scène la faillite d’un vieux monde industriel où la parole poétique d’un homme simple pouvait encore trouver sa place. Ou encore Les Cerfs noirs d’Inga Abele aux accents tchékhoviens, qui pointe la fin d’un monde dans une campagne encore sauvage de Lettonie.
* Tous les livres sont au prix de 9 €
Théâtre Traits d’union
septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96
| par
Laurence Cazaux
Vingt-sept textes inédits pour voyager théâtralement dans les pays de l’Union européenne.
Traits d’union
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°96
, septembre 2008.