Subir, coup sur coup, le départ d’une femme à bout de souffle et celui d’une gamine, peut vous enrayer la comprenette. Qui plus est lorsque vous avez pris le pli de taquiner les jarrets anachroniques de feue Madame la Philosophie, qu’une pente descendante vous incite à squatter les balcons mélancoliques et que l’âge sonne le tocsin. Voilà, parmi la somme des psychopathologies quotidiennes, ce dont souffre l’antihéros de L’Année de l’éclipse. Enseignant en arrêt maladie, névrosé lorgnant le sésame de l’inconscient dans le cabinet d’un certain Dr Floch, Basile cherche, bon an mal an, à « revenir dans la partie ». Quand bien même le désamour de Carole et de Juliette, le « pacte maffieux entre la finance, les médias et la publicité », la Fnac, Surcouf, trois verres de whisky et le « vernis sociologique ».
Un tantinet moins exalté que ses frères de papier, Ignace Capel et Athanase, les deux originaux de Morbidezza et Gazo (ovnis littéraires parus chez Actes Sud ; en 1994 puis 1996), le nouveau personnage façonné par l’astucieux Philippe de la Genardière nous entraîne, sourire aux lèvres, le long d’une trajectoire où le bas pourrait n’être qu’hauteur inversée. Ainsi, à l’apogée d’une fulgurante renaissance, après s’être « masturb(é) comme un gamin de seize ans » dans la chambre de sa fille Juliette, Basile croise les formes aériennes d’une impudique créature : Shadi. Reine d’une végétation capiteuse, cette apparition orientale va-t-elle « faire d’une chute annoncée le plus sublime des envols » ? Notre « as de la maïeutique » va-t-il, au contact des appâts de cette entêtante soprano, recouvrer l’aspiration nécessaire à la pensée contestataire de ses maîtres, Marcuse et Kostas Axelos ? L’amour pourra-il défaire les nœuds spéculatifs de son essai, « Éclipse philosophique », et redonner du sens à ce qui n’en a plus ?
Pour réponse à toutes ces questions lancinantes, le lecteur n’aura pas d’autres choix que de se laisser porter par les phrases généreuses de L’Année de l’éclipse. Drôle, légèrement provoquant et ironique, Philippe de la Genardière convoque le vivant et entremêle les sens. Fascinant écheveau de métaphores et d’affinités philosophico-littéraires, son roman va sans aucun doute compter parmi les plus belles réussites de la rentrée. Quant à Basile, il fera sûrement son lit dans quelque espace vacant de notre esprit.
Comment avez-vous conçu l’architecture romanesque de L’Année de l’éclipse ?
Je tente toujours d’appréhender le monde et la fiction sous un angle différent. J’ai écrit ce livre au passé, dans un genre très établi. J’ai eu peur que cette forme tellement ancienne du roman ne me contraigne. L’objet ne change pas. C’est seulement une manière de parcourir les choses autrement pour, éventuellement, me donner plus de chance d’atteindre un but qui, de toute façon, se refuse toujours. J’aime l’idée de l’enjeu. Toucher un bout de l’univers. On peut dire ça de mille manières. Chaque livre est une tentative de...
Entretiens La philosophie sur le balcon
septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96
| par
Jérôme Goude
A travers les déboires de Basile, cinquantenaire déphasé et dépressif, L’Année de l’éclipse de Philippe de la Genardière interroge la perte de sens du vivant.
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