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Choses vues Danse orientale

octobre 2008 | Le Matricule des Anges n°97 | par Dominique Fabre

Tôt le matin de ma fenêtre j’aperçois le tramway, tout à fait en bout de ligne, il est tout éclairé mais n’a pas encore rejoint la station, trente mètres plus loin. Il n’y a personne dedans. Et si un jour les gens venaient à s’absenter du monde ? Mais bon, on est seulement le matin. Les premières personnes dehors ce sont les employés des sociétés de nettoyage, qui travaillent souvent très loin. Ils auraient des choses à nous dire, bien sûr, mais bon, faut voir comme ils sont pressés, ils ont à peine le temps de penser à rien, avec leur carte orange 5 ou 6 zones. Le tramway avance et les premières personnes montent, tout le monde a place assise à cette heure-là. Il avance au beau milieu du boulevard des Maréchaux sur sa fausse pelouse épaisse, il n’a pas besoin de s’arrêter aux feux rouges. Je ne sais pas ce qui m’a pris, est-ce que j’avais seulement envie de finir de tuer l’insomnie ?

Je suis descendu à hauteur du stade Charléty, qui avait un air de vaisseau spatial n’ayant pas trouvé acquéreur, à cause du dernier krach boursier ou de quelque chose comme ça. J’aurais bien poussé jusqu’au parc Montsouris mais il était fermé à cette heure et puis, de là, je serais sans doute allé rôder à la cité U ; j’y ai des souvenirs là-bas du genre à foutre le bourdon, surtout après une insomnie et sans avoir mangé de tartines ! Tous ces endroits qui nous attendent et ne demandent qu’à nous parler, jour et nuit. Je suis rentré un bout à pied, et puis, comme si j’avais déjà fini ma journée à 7 heures du matin, j’ai pris un tramway tout plein, avec des tronches de cake et mal lunées. Paris ne se réveille jamais de la même façon.

Là c’était un réveil en fanfare : à l’arrêt de la Poterne des Peupliers des types se sont marché sur les pieds, et, bien qu’il ne l’avait pas fait exprès, un jeune homme de haute taille et bien sapé genre cadre dynamique s’est pris une baffe par un vilain mec râblé qui rêvait sans doute de faire ça depuis le jour de sa naissance, en 1983. On a été quelques-uns à plaindre la victime, on lui a tendu des Kleenex pour qu’il s’essuie le bout du nez, mais, à côté de moi, une personne a haussé les épaules. D’ailleurs l’agresseur dévisageait tout le wagon, genre si quelqu’un a un truc à dire, je m’occupe des réclamations ! (À titre préventif on peut toujours regarder ses chaussures plus ou moins bien cirées ou se plonger dans la lecture des gratuits, qui ont vraiment creusé leur niche dans la tête des voyageurs, par ici). Au terminus, des gens en simple escale courent vers le PC2, avec un air de conquérant ou au contraire, un air déjà dégoûté. Et dire qu’ils n’ont pas encore vraiment commencé la journée ! Il n’y a que peu de temps dans la vie où penser à ces choses-là, entre 5 et 6 heures et demi le matin, le reste du temps, il faut vivre et travailler. La nuit pour oublier un peu, attendre que le jour se lève, continuer à avancer. Et vous, ça va ?

Chez moi à table on parle de choses sérieuses en ce moment, avec mon fils en terminale on discute souvent de philo. C’était mes chères études mais j’ai pas mal oublié, je ne peux pas vraiment l’aider : comment on distingue un vrai concept d’une opinion vraie ? Késaco le cogito ? L’anarchie est-elle possible ? Mais j’adore le voir comme ça, tout passionné. C’est comme de bon matin aussi, les premiers cours de philo : il y a l’aube et la promesse d’une belle journée, même si dans le soleil couchant, Socrate fait son dernier petit discours avant de boire la ciguë. J’ai cru longtemps au communisme. Au fait fiston, qui peut se vanter de faire venir Arno et Bashung à la file pour 17 euros seulement, sinon les ringards du PC ? Ha ha, tu y avais pas pensé à ça ? Euh… ben oui et alors ? Il m’a regardé d’un drôle d’air, genre pince-moi je rêve ! Bon d’accord il était zarbi, mon argument. Grandir.

Il fait froid ce matin dans la rue du Château des Rentiers. Pendant des mois on a eu des baraques de chantiers qui nous cachaient les voisins d’en face, ceux de la cité Masséna Rouge, mais depuis cet été, on peut se regarder sans même vouloir. On a surtout des gens normaux sous tous rapports, au deuxième on a une famille monsieur madame naturiste et bien enrobée, et au rez-de-chaussée, une danseuse orientale répète tous les soirs ses pas, à la fin elle tourne, elle tourne merveilleusement les deux bras en anse, je voudrais l’applaudir en vrai. Puis, quand elle a fini son enchaînement, elle tire le rideau rouge de la pièce et ferme la lumière. Si personne n’est en vitrine, on a que les écrans de télé et des ombres immobiles, les têtes se confondent avec le dossier des divans, les yeux rarement brillants dans le noir. Qui est-elle cette danseuse, est-ce elle que je croiserai un jour en allant travailler ? Et le futur Socrate de la porte d’Ivry, où se terre-t-il, lui aussi ? Le jeune homme qui s’est pris la baffe a-t-il été bien consolé ? Toutes ces histoires qu’on ne sait pas.

Je resterai bien avec elles à vous en entretenir mais il me faut partir, comme à chaque fois. Je veux pas arriver en retard au bahut, sinon je vais me faire encore incendier par ma chef. Vrai, je voudrais bien trouver un boulot où on ne sort pas de chez soi en ce moment. On a de ces lubies parfois. Est-ce qu’on va cailler toute la journée ou seulement ce matin ? Je bâille, ça fait déjà longtemps que je suis réveillé. J’ai passé un bon moment à vous raconter ça, il est huit heures trente du matin. Le reste va durer jusqu’à 16 heures aujourd’hui, mais bon, ce n’est que du supplément, alors pas de problème. Ce soir à la fenêtre, elle dansera.

Danse orientale Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°97 , octobre 2008.
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