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Intemporels Au-delà du réel

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Didier Garcia

Dans ce récit sur la Grande Guerre, Gabriel Chevallier lance un réquisitoire contre la bêtise humaine. Un enseignement à méditer.

Sans l’expression « c’est Clochemerle », directement issue de son quatrième roman (Clochemerle, 1934) et passée dans le langage courant, Gabriel Chevallier (1895-1969) figurerait au banc des écrivains oubliés. Et pourtant, il a laissé derrière lui une bonne vingtaine de titres, où se mêlent souvenirs et romans, dont La Peur (publié en 1930), un livre résolument « tourné contre la guerre », à laquelle il a participé comme soldat.
Ce récit autobiographique, qui reste au plus près de la chronologie des événements, s’ouvre sur l’annonce, en 1914, de la mobilisation générale. L’affaire est connue : même si en une semaine « vingt millions d’hommes civilisés ont reçu la consigne de tout interrompre pour aller tuer d’autres hommes », la Première Guerre mondiale démarre sur des airs de fête. Quand il part au front, dix mois après les autres, il n’envisage encore que le pittoresque du conflit, et c’est presque en étudiant curieux qu’il aspire à voir un champ de bataille. Mais lorsque l’armée le propulse au cœur des opérations en tant que soldat d’escouade (ou d’ « aspirant macchab », comme le dit l’un d’eux), lorsqu’il découvre les tranchées, entend la menace des balles, côtoie les premiers cadavres, la guerre prend alors un tout autre visage.
Au bout de 60 pages, le mal est fait : nous y sommes avec lui. C’est la nuit, une nuit sale qui va durer plusieurs années. Dans le village en ruine, il y a des blessés qui hurlent sous la pluie (certains mourront là comme des chiens), il y a la boue, sur laquelle glissent les jambes fatiguées, quand ce n’est pas un cadavre que le pied foule malgré lui. La mort est partout. Partout possible, et pour tout le monde.
Nous voici donc à marcher au milieu des cadavres, ou plutôt des corps mutilés, des têtes sectionnées, pour certaines comme vidées d’elles-mêmes, et de tous ces blessés qui crient, de ce cri que les vivants portent en eux et qui sera peut-être le leur dans quelques minutes.
« l’inégalité dans les dangers discrédite les croix ».
Lors d’une attaque, Chevallier est touché. Par miracle, il n’est qu’un blessé, c’est-à-dire un homme contraint d’attendre qu’un autre blessé meure pour bénéficier à son tour d’un brancard et de soins. Mais une blessure, en ces temps de carnages, c’est quand même une aubaine, presque un luxe, à tout le moins l’assurance d’échapper au front pour un temps. Quand les infirmières lui demandent ce qu’il a vécu depuis le début des hostilités, Chevallier a cette réponse que personne n’a encore osé donner : de la peur, un mot qui n’entrera jamais dans l’histoire de France. Il s’autorise alors à fustiger l’incurie des chefs, qui ont lancé des escouades armées de leur seule baïonnette à l’assaut des mitrailleuses et des canons allemands (un régal pour une mitrailleuse qui délivre 200 balles à la minute).
Le temps de la convalescence s’achève, et Chevallier doit réintégrer l’armée, mais cette fois en tant qu’agent de liaison, devenant ainsi, aux yeux de ses frères d’armes, un « embusqué » (entendez un planqué). Ce qui ne lui épargne pas pour autant la zone des obus, qui obéit à sa propre loi, et où l’on n’hésite pas à se mutiler pour fuir l’enfer. Ce qui ne l’empêche pas non plus de croiser des officiers, ces « personnages dont les lubies sont fréquentes, redoutables et de droit divin ». Et alors qu’il coulait des jours presque paisibles dans les montagnes des Vosges, un nouveau commandant (que les soldats abattraient plus volontiers que l’ennemi posté juste en face) le renvoie au front. Les pages qui suivent contiennent un beau florilège de jugements peu flatteurs sur les gradés, même lorsqu’ils poétisent : « Je me dis aussi qu’à tout prendre les généraux sont moins redoutables lorsqu’ils signent des poésies que des ordres d’opérations. Celui qui vient de partir, du moins, n’assassine que la langue ».
Au final, le bilan est terrible : Gabriel Chevallier aura usé sa jeunesse « à des occupations stupides, dans une subordination imbécile », et la guerre aura produit « cinquante grands hommes dans les manuels d’histoire, des millions de morts dont il ne sera plus question, et mille millionnaires qui feront la loi ».
La Peur ne se contente pas de rappeler les faits. Ce roman a la dent dure : il juge, et condamne. Et peu importe que ce soit parfois à l’emporte-pièce (la compagnie des cadavres n’incline pas à la finesse) : il a l’accent de la sincérité. Quand il dénonce ceux qui dirigent la guerre sans la faire (« l’inégalité dans les dangers discrédite les croix »), il le fait en connaissance de cause. Mais le plus étonnant, c’est que, malgré l’horreur qu’il met à nu, et que la distance aujourd’hui dépouille peut-être davantage, ce témoignage peut se lire comme un roman (il en a la saveur et le rythme). Mais alors un roman tel que la vie en produit, et qui rappelle que parfois la réalité dépasse la fiction.

La Peur de Gabriel Chevallier
Le Dilettante, 352 pages, 22

Au-delà du réel Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.