Difficile de cerner la figure d’André Laude et ce qu’elle a pu représenter pour ses contemporains. Disparu il y a treize ans, il a laissé chez les lecteurs de sa génération et chez ses amis une marque très profonde. Pour nous, le brouillard ne se lèvera pas aisément car ses articles de presse, qui eurent tant d’effet, absorbèrent une large partie de son temps : ils sont aujourd’hui hors de portée. Bien heureusement, la récente création des Amis d’André Laude et la publication d’un gros volume de son Œuvre poétique laissent augurer que les choses peuvent changer. Ce sont les prémices d’une mise au jour plus complète de cet homme engagé, bohême révolutionnaire ou poète maudit, qui a fini son existence dans le plus grand dénuement, ne possédant rien que son esprit et ses écrits disséminés dans Le Monde (critiques littéraires), Le Point (chronique photo), Les Nouvelles littéraires, Combat, etc.
André Laude était né le 3 mars 1936 à Paris. 1936 : l’année de la Sociale et des congés payés, et début des temps amers. Il n’a pas 5 ans que son père est mobilisé. Trois ans plus tôt, il avait déjà perdu sa mère. Établi à Aulnay, il poursuit en orphelin ses études jusqu’en 1953. André Laude a alors 17 ans. Après avoir découvert les livres grâce à Serge Wellens, libraire à Aulnay, il rencontre Jean Rousselot et les poètes de l’École de Rochefort. D’un tempérament farceur, le jeune homme créé avec des amis un groupe, L’Orphéon, qui, de canular en canular, finit par organiser de vraies lectures de poésie sous les préaux d’écoles. Bien sûr, il écrit des vers et rencontre les surréalistes au cours de leurs réunions de la brasserie Promenade de Vénus, rue du Louvre. Ses premiers recueils paraissent : La Couleur végétale (Terre de feu, 1954), Nomades du soleil (Paragraphes, 1955) et il publie dans les revues iô, Action poétique, Promesse ou Les Cahiers du Sud. La poésie n’est pas la seule expression de sa révolte ou de sa dignité d’être humain. La fréquentation de La Tour de feu des Boujut (père et fils) donne le ton de ses idées politiques.
Après avoir été en contact avec Michel Donnet, un instituteur qui l’initie aux thèses anarchistes, André Laude avait adhéré dès 1953 à la Fédération communiste libertaire et s’était tourné vers le journalisme en signant des articles dans Le Libertaire. Anticolonialiste, il entre même en subversion ouverte pour soutenir les révolutionnaires algériens et devient au cours de la guerre d’Indépendance du nombre des courageux « porteurs de valises ». Naturellement insoumis dès 1956, il est arrêté à Paris et supporte un emprisonnement d’un an (on dit qu’il pourrait avoir eu lieu dans un camp de parachutistes du Sud-Sahara où la torture…) puis, libéré, se retourne vers le journalisme pour Combat. Lors de son retour à Paris, après la chute de Ben Bella, son activité de « révolutionnaire professionnel » lui vaudra un procès pour « collaboration avec l’ennemi ». « Seuls les poètes qui prônent le désordre sont, à mes yeux d’authentiques poètes », écrivait-il dans Comme une blessure rapprochée du soleil (La Pensée sauvage, 1979).
En attendant que puissent reparaître ses chroniques de Mai 1968, éloquentes, on peut deviner dans plusieurs proses ce qu’il en était de son besoin d’action. Les quasi-autobiographies que sont Joyeuse Apocalypse (Stock, 1973), Rue des merguez (Plasma, 1979) et Liberté couleur d’homme (Encre, 1980) ne racontent pas autre chose, avec ses affres, ses engouements, ses amours et ses difficultés d’Homme… Politique, poésie et photographie sont ses préoccupations principales. Proche de l’Internationale Situationniste de ses amis Raoul Vaneigem et Guy Debord, il fait avec Max Chaleil la démonstration de son esprit en donnant un délicieux démarquage du livre de Mao sous le titre du Petit Livre rouge de la révolution sexuelle (Debresse, 1969). Les années de liberté conquise lui vont bien. La vie l’habite.
Lors de sa disparition, au moment même où se tenait le marché de la poésie, le 24 juin 1995, on s’aperçut qu’André Laude avait brûlé toutes ses cartouches. Il était mort seul, dépourvu de tout, dans une chambre du 6, de la rue de Belleville. Salué par tous, le poète et l’homme savant on raconte que pour le faire travailler à une « petite histoire de la pensée libertaire » publié par Planète en 1968, son éditeur avait dû l’enfermer dans une chambre d’hôtel avec pour seule compagnie des livres et des packs de bière, le chroniqueur engagé qui signait parfois Maurer ou Baron Bravo, le collaborateur du Fou parle crevait le cadre de son existence et s’en échappait. Son vieil ami Serge Wellens eut alors cette belle phrase, empruntée à Leiris parlant de Desnos : « Il mourut comme un proscrit pour avoir été un trop parfait amant de la liberté ».
On peut retrouver la trace d’André Laude dans Les Compagnons du verre à soif de François Vignes (L’Atelier du Gué, 1998 ; Le Cherche-Midi, 2001) et dans un bel entretien vidéo repris sur le blog de Guy Darol (www.guydarol.fr - octobre 2008)… mais il nous avait averti : « Ne comptez pas sur moi/ je ne reviendrai jamais/ je siège déjà là-haut/ par les Elus/ Près des astres froids.// Ce que je quitte n’a pas de nom/ Ce qui m’attend n’en pas non plus/ Du sombre au sombre j’ai fait un chemin de pèlerin/ je m’éloigne totalement sans voix/ Le vécu mille et mille fois m’a brisé, vaincu./ Moi le fils des Rois ».
Œuvre poétique d’André Laude
Préfaces d’Abdellatif Laâbi et Yann Orveillon,
La Différence, 735 pages, 49 €
Égarés, oubliés Libérez Laude !
janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99
| par
Éric Dussert
André Laude n’était pas un homme vain. Porteur de valises ou de stylos, il a été des révolutions de son temps.
Un auteur
Un livre
Libérez Laude !
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°99
, janvier 2009.