Le premier roman d’un Gallois inconnu vient nous rappeler à point nommé cette évidence : la résistance, pourtant bien à la mode aujourd’hui, n’est guère confortable. Il met, lui, en scène des résistants qui risquent leurs familles, leurs vies et leurs patries.
Si nous sommes en 1944, en pleine Seconde Guerre mondiale, nous avons la surprise de constater qu’Owen Sheers réécrit l’histoire. En effet, les Allemands ont envahi avec succès l’Angleterre, jusqu’à établir un gouvernement de collaboration, jusqu’à traquer les espions, les francs-tireurs et autres rebelles. Voilà un écrivain qui s’inscrit parmi les rares pionniers de l’uchronie. Roger Caillois imaginait que Ponce Pilate libérait Jésus et donc effaçait la possibilité du christianisme. Philip K Dick voyait dans Le Maître du haut-château l’occupation des États-Unis par les Japonais et les Allemands. Philip Roth, dans Le Complot contre l’Amérique, fit prendre un virage isolationniste à ce même pays qui signa un pacte de non agression avec Hitler. Le procédé n’a rien de gratuit et Owen Sheers peut figurer sans honte parmi ces prestigieux auteurs.
Il ne se contente pas de constater les effets attendus de l’invasion nazie sur l’Angleterre, dans une sorte de reflet plus ou moins inexact de l’occupation en France. La résistance de quelques patriotes, parfois mortelle, se double de la disparition de tous les hommes d’une vallée reculée des sauvages montagnes du Pays de Galles. Où sont-ils allés ? Dans des caches aménagées parmi les falaises d’altitude, d’ailleurs parfois découvertes par l’occupant, puis sans doute parmi les déserts gallois. Sont-ils morts ? On ne le saura jamais. Les femmes, ignorantes des stratégies masculines, sont restées, avec le lourd travail de la ferme sur les bras. Dans ce qui devient un îlot géographique et temporel, une poignée de soldats allemands voit s’installer un lourd hiver. Coupés de leurs supérieurs, ils nouent des relations fondées sur l’entraide avec les paysannes esseulées, mais aussi, parfois, sur de plus tendres sentiments. C’est ainsi que l’officier Albert Wolfram pactise avec Sarah. C’est sa résistance à lui. Sans risque le temps que la neige bloque les routes, mais une fois les contacts rétablis, beaucoup plus dangereuse, aussi bien pour elle, mal vue par les locaux, que pour lui, devenu traître. La résistance des Anglais et des Gallois, s’accompagne donc de celle de l’Allemand qui pactise avec l’ennemi au point de préférer la paix à la guerre, l’amour à la haine, en s’enfuyant avec une fermière galloise sans qu’on sache finalement où leur destin de parias les conduira…
Malgré une première partie parfois un peu laborieuse, la sûreté de l’action et la pertinence de la psychologie sont bientôt au rendez-vous dans ce roman troublant. Qu’importe si les surprises stylistiques ne sont guère époustouflantes. Le récit n’a rien de terne. C’est avec pudeur et intimisme que la relation du couple naissant, toute de tact, s’installe, mais en se gardant de l’idéalisme. La réflexion politique et humaine se mêle à une judicieuse plongée dans le sens de l’Histoire, grâce à cette carte ancienne venue d’un musée, cachée dans les montagnes, que les protagonistes détruiront pour ne pas la laisser devenir un trésor de guerre symbolique aux mains de l’envahisseur. Devant l’anti-utopie du nazisme, l’utopie du recours aux montagnes et à la liberté du couple se fait plus nécessaire. À l’issue d’un tel roman, dont la dimension onirique et politique est remarquable, chacun ne peut que se demander ce qu’il aurait fait à la place des personnages. Et si finalement le résistant était celui qui oubliait la guerre ainsi que les haines nationales et de toutes sortes pour retourner aux gestes simples de la vie quotidienne et de l’amour ?
Résistance de Owen Sheers
Traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner
Rivages, 416 pages, 23 €
Domaine étranger Le sens de l’Histoire
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Thierry Guinhut
Owen Sheers imagine une Angleterre devenue nazie. Qu’advient-il lors de la rencontre entre les envahisseurs et les envahis ?.
Un livre
Le sens de l’Histoire
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.