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Domaine étranger Couleurs de l’effroi

juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104 | par Sophie Deltin

Au nouvel opus de Siegfried Lenz, on préférera la réédition de son grand roman qui soulève la question du devoir au temps du nazisme.

La Leçon d’allemand

Une minute de silence

Nous sommes en 1943, à l’embouchure de l’Elbe, dans un hameau à l’extrême nord de l’Allemagne, non loin de la frontière danoise. Le peintre Max Ludwig Nansen reçoit de Berlin, en plein régime nazi, une interdiction de peindre. Le brigadier de police locale, Jens Ole Jepsen, responsable du poste de Rugbüll, est chargé non seulement de la lui transmettre mais aussi de veiller à ce que l’intéressé la respecte. Sauf qu’ « on est peintre ou on ne l’est pas, on peint toujours ou alors on ne peint jamais. Peut-on interdire à quelqu’un de rêver ? » s’insurge Nansen qui pour contourner la censure, se lance dans un cycle de « peintures invisibles » - définition littérale d’une œuvre qui ne peut ni ne doit exister, et que le jeune Siggi Jepsen, en opposition de plus en plus ouverte au père, va tenter plusieurs fois de soustraire au péril de ce « devoir » criminel. Décrire le processus psychologique qui entoure le phénomène de l’obéissance aveugle à l’ordre qui vient d’en haut constitue le propos central de Siegfried Lenz. Car ce dont Jens Ole Jepsen, figure de l’éternel exécutant, s’acquitte par sens du devoir, finit par devenir un « tic », une « idée fixe », « une véritable maladie », au nom d’une « mission » qu’il se complaît d’honorer avec un zèle fanatique - jusqu’au bout, même après, lorsque la guerre finie, elle sera devenue caduque. C’est cet acharnement stupide, inflexible dans sa bonne conscience, que nous raconte Siggi Jepsen, alors enfermé dans une maison de correction pour jeunes délinquants, et puni pour avoir rendu une copie blanche lors d’une épreuve de rédaction dont le sujet portait sur « les joies du devoir »
Un fils qui n’en finit pas de payer pour le destin coupable de son père.
Siegfried Lenz, né en 1926 en Prusse orientale, qui a déserté l’armée et s’est réfugié un temps au Danemark, n’a pas caché s’être inspiré du destin de l’artiste allemand Emil Nolde (1867-1956). Max Ludwig Nansen - dans une allusion appuyée à la contraction de Hansen (le vrai nom du peintre expressionniste) et de Nolde (le nom du terroir natal qu’il s’était alors choisi pour patronyme) - ne partage pas seulement l’attachement au sol du Schleswig-Holstein. Outre le fait d’avoir adhéré au parti nazi, il en a vite été désigné comme indésirable et « dégénéré », à une époque où « les allumettes sont entrées au service de la critique d’art » et où la censure, essentiellement motivée par la peur, se déchaîne « à cause des couleurs ». « Elles ont toujours quelque chose à raconter, explique le peintre, il leur arrive même d’avoir des opinions. » Le geste et l’éclat de la couleur donc, tout en éruptions et éclaboussures, la plume-pinceau de Lenz excelle à en restituer l’énergie subversive, la puissance imaginative - une sûreté de touches créant une forte impression visuelle, tel est d’ailleurs ce que l’on retiendra du petit roman intimiste, poétique et sensible, sur une histoire d’amour inachevée, que l’écrivain âgé de 82 ans publie cette année (Une minute de silence). Qu’il s’agisse de décrire les rafales de vent iodé ou le soleil qui se noie dans la mer du Nord, toute scène (chez le peintre comme chez l’écrivain) accède au rang de drame héroïque, tout visage humain devient un masque hurleur et bariolé d’effroi. « Quand on voit le genre d’humanité qu’il peint, s’indigne la mère de Siggi, ces visages verts, ces yeux mongols, ces corps difformes, toutes ces choses qui viennent d’ailleurs : on sent qu’il est malade. Un visage allemand, on n’en rencontre pas chez lui »
Grand roman de la prise de parole d’une première génération d’« héritiers » en quête d’une confrontation avec l’implication de leurs aînés dans le national-socialisme, La Leçon d’allemand tire sans doute son succès - retentissant à sa parution en Allemagne en 1968 - de la mise en scène de la rébellion d’un fils qui n’en finit pourtant pas de payer pour le destin coupable de son père. « Je suis ici à la place de mon vieux, affirme Siggi à la fin de sa punition (…) Jeunes à rééduquer : voilà l’étiquette qu’on nous a collée au tribunal (…) mais je voudrais poser une question : pourquoi n’existe-t-il pas une île et des bâtiments de cette sorte pour rééduquer les vieux ? N’ont-ils pas besoin, eux aussi, d’être rééduqués ? (…) Quand est-ce que l’éducation prend fin, voilà la question que je voudrais poser. » De l’autorité du père naturel au « dressage » des pères symboliques - les professeurs avec leurs valeurs et leurs méthodes - c’est surtout la question de la continuité d’une pédagogie longtemps calcifiée par l’institution et l’obéissance comme fondement suprême, que Siegfried Lenz, dans une communauté d’esprit qui fut celle d’un Günter Grass ou d’un Heinrich Böll, alors tous membres du Groupe 47, pose ici d’une façon particulièrement efficace.

Siegfried Lenz La Leçon d’allemand, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss (édition revue), Robert Laffont, « Pavillons poche », 572 pages, 10,90 et Une minute de silence, traduit de l’allemand par Odile Demange, Robert Laffont, 126 pages, 16

Couleurs de l’effroi Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°104 , juin 2009.
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