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Traduction Pierre Grouix

juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104 | par Pierre Grouix

L’œuvre poétique de Bo Carpelan

Né en 1926, Bo Carpelan, lauréat du prix Européen de Littérature 2007, est le principal écrivain finlandais de langue suédoise. Il est davantage loué en France pour ses romans, dont Axel (Gallimard, 1989), journal musical imaginaire consacré à Sibelius, alors qu’il se sent avant tout poète. La poésie, confie-t-il simplement, est sa maison. Depuis notre rencontre à Helsinki en 1998, j’essaie, autant que dire se peut, et dans un travail au long cours, de rendre en français les dix-neuf volumes de vers publiés entre 1946 et 2007. Certaines traductions ont été accueillies par des éditeurs épris de poésie (Rafael de Surtis, L’Atelier La Feugraie, Grèges, Arfuyen) et doivent, avec d’autres, être assemblées dans l’œuvre poétique complet, chantier de plus de quinze cents pages à paraître aux éditions Galaade, comportant une bonne part de traductions inédites. Il me revient donc d’ajointer en une unité belle, cohérente - et l’une parce que l’autre - une œuvre pourtant densément multiple, qui s’accorde la belle liberté libre d’arpenter aussi bien l’espace hantant des vers que les nœuds si serrés, voire inextricables, des poèmes en prose, la pointe vénéneuse des aphorismes autant que l’ampleur vagabonde de longues laisses tissées de métaphores complexes, peut-être le lot singulier des recueils initiaux. Se défiant de la petite route - la routine -, arpenteur de la grande route - l’aventure -, Carpelan, homme humble comme l’herbe, n’en n’est pas moins riche d’ambition pour son œuvre : la voix dont il est le fruit, si elle n’échappe pas au doute, aime, chemin faisant, se réinventer, se réécrire, n’hésitant pas à se surprendre elle-même, mais aussi à dérouter ses amateurs, à commencer par ce lecteur tout de même particulier qu’est, je crois, le traducteur.
Le suédois de Finlande donne une impression, souvent trompeuse, de familiarité. Mais l’outil de précision des auteurs de la minorité suédophone de Finlande, qui n’a rien à voir avec le finnois, n’est pas tout à fait le suédois de Suède. Ce décalage, pour ténu qu’il paraisse, n’ouvre pas moins le champ à toutes sortes de pièges, d’erreurs, de confusions. Il existe en outre des termes propres à ce finlandssvensk. Et son emploi, volontiers virtuose, parfois un rien suranné, est délicat à rendre. Autre écueil, par-delà les ans, parfois à plus d’un demi-siècle de distance, les livres de Carpelan tissent entre eux des jeux étourdissants d’appels, d’échos internes qu’il me faut, dans les limites de mon intelligence - qui sont celles de ma pratique - percevoir, puis tenter de traduire tant bien que mal. Œuvre complet oblige, je dois en outre travailler le liant de ces volumes, les réinscrire dans la parabole de leur trajet global, les éclairer sans qu’ils aveuglent, les faire parler sans les faire taire, sauf lorsque ils donnent sur le silence.
Si, comme je le crois, la poésie est la langue de la langue et la traduction de la langue en elle-même, l’approche d’un grand, d’un très grand poète exige, quitte à l’inventer, la meilleure part de soi. Le principal obstacle qui se présente à moi au cours de ce périple d’encre est que Carpelan est un très bon poète et que je n’en suis pas un ; qu’à ma différence, il est écrivain au plus profond de lui. Et ce alors que, objectivement, il dépend pour une large part de moi qu’il soit - enfin - lu en France, reconnu pour ce qu’il est, un vrai poète finlandais de langue suédoise, un des purs lyriques que le Nord ait à offrir. Parviendrai-je à mes fins ? Peut-être. Peut-être pas. Quoi qu’il en soit, ce travail réclame la meilleure part de moi, la connaissance toujours perfectible de cette langue étrangère et de l’emploi spécial qu’en fait - en poète - ce poète, l’identification des pièges que cet idiome suédois à part tend, défendant ainsi ses mystères et ses sortilèges, l’écoute des textes, l’identification des images, la reconnaissance des rythmes et, plus que tout, l’attention aiguë portée à ce chant autre, surprenant toujours, qu’est la voix en poésie de Bo Carpelan. Là comme ailleurs, et comme lors du travail, je puis me tromper, mais il me paraît que le fait de traduire exige de celui qui s’y prête de se faire, à ras de texte, le meilleur lecteur possible de l’œuvre. Entamé naguère, mais toujours à reprendre, à améliorer, à peaufiner, à désencombrer de moi et d’erreurs qui m’attendent, le travail qu’il me reste est devant moi comme une montagne et, Finlande pour Finlande, comme un lac, dans les eaux duquel je ne dois ni me mirer ni me noyer, mais dont il me faut restituer le plus fidèlement possible le soyeux des vagues, le jeu des lumières, la vie vivante.
À force de faiblesse, souvent découragé, parfois désemparé au pied de cette montagne, je vais pourtant mon chemin. J’imagine qu’à sa façon, et pour peu que j’en sache quelque chose, le traducteur, dans l’idée toujours neuve que je me fais de lui, dans l’image de lui que je découvre jour à jour vers à vers (le poème invente jusqu’à son traducteur) est non seulement le berger des ombres du texte qui lui est confié mais aussi celui qui propage une lumière qu’il aimerait restituer pour mieux la diffuser, la faire aimer, la partager. La montagne est là, à m’écraser de sa puissance, à exiger de moi bien plus que moi, à vouloir mes sommets quand je n’ai des précipices, mais au grand - ou au petit - jamais, je n’ai pas peur, je ne tremble pas, peut-être même ai-je confiance. Je le sais, je le sais bien : cette montagne sur mon dos, ce mont qui écrase d’un même poids et les phalanges qui prétendent la traduire et le mauvais poète qui est en moi, mon ignorance et mes manques, est une montagne de lumière. Feuilles en éventail ou en soleil autour de moi, dictionnaires (les Nordiques disent livres de mots) non loin et brouillons repris, reprisés, à ma manière, à celle de Carpelan surtout, j’héberge un feu. Peu importe qu’il me brûle du moment qu’il éclaire les autres.

* Pierre Grouix a traduit entre autres Tarjei Vesaas, Knut Hamsun, Tor Jonsson, Joseph Julius Wecksell.

Pierre Grouix Par Pierre Grouix
Le Matricule des Anges n°104 , juin 2009.
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