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Vu à la télévision Occupés

juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105 | par François Salvaing

On vient de suivre quatre trajectoires. Points de départ très divers, convergence vers l’abjection. Joseph Darnand avait été un soldat héroïque, Violette Morris une championne sportive, Henri Lafont un escroc de troisième zone, Paul-Louis Paoli un comptable débutant. Entre 1940 et 1944 ils étaient devenus qui chef de la Milice, qui agente de la Gestapo, chef de la Gestapo française ou bourreau du Berry. Commentaires en plateau de trois « témoins » dont les pères avaient, eux aussi, collaboré avec l’Allemagne occupante. L’un d’eux estime que résistant ou collabo : jeu de rôles qui tournent bien, qui tournent mal. C’est un homme distingué, qui a jadis écrit mille éditoriaux distingués contre l’horrible programme commun de la gauche avant d’être distingué par le président François Mitterrand pour diriger la Bibliothèque nationale de même nom. Il ne dit pas autre chose en 2009, sur son mode glacé, que sur mode gouailleur le trafiquant et tortionnaire Lafont après son arrestation en 1945 : « Le destin d’un homme ? Un petit hasard d’aiguillage. »

Timothée tourne nauséeux devant ce genre de considérations qui escamotent qu’étaient plus que prévisibles les conséquences immédiates de ces choix prétendument aléatoires. Le confort et les places pour les uns, la peur ou pire pour les autres. En même temps, il a du mal à se satisfaire des belles ou des noires légendes dont les héros et les traîtres voient clair d’emblée dans les engagements à prendre, les gains à rafler, les risques à courir. Or, le lendemain du documentaire et du débat sur les quatre trajectoires de collabos, démarre (France 3) une série que, dès les premières séquences, il déclare à la cantonade « de salubrité publique ». La cantonade a nom, ce mois-là, Eudoxia.


 À propos, dit Eudoxia, tu me rappelleras de te raconter une histoire !

Un village français (six épisodes diffusés sur trois semaines, et narrant chacun une journée située entre le 12 juin et le 11 novembre 1940) renouvelle vertigineusement, estime Timothée, la représentation jusqu’ici donnée à la fiction télévisuelle de l’Occupation. Cent fois, on a vu l’exode, cent fois les déportations, cent fois Vichy, la Résistance. Mais là, par les projecteurs braqués sur quelques mois de la vie d’un bourg situé juste au nord de la ligne de démarcation, on est confronté à ce qu’Occupation a voulu dire pour un chacun en France pendant la Deuxième Guerre mondiale (et sans doute veut dire, absolument). Voici en moins d’une journée l’église transformée en hôpital, l’école en caserne de la Wehrmacht, la maison du notable en Kommandantur. L’appareil d’État s’écroule, tous les repères se brouillent. L’Occupation déploie d’emblée des dimensions matérielles, mentales, symboliques en même temps que militaires, politiques et institutionnelles, mais elle ne constitue pas une donnée, une fois posée, invariable. Elle produit au contraire en cascade ses dévastations, et sans que personne, surtout pas les occupés, puisse en deviner ni en fixer les bornes. Ce continuum du désastre est à la fois montré et utilisé avec puissance et subtilité par les auteurs, le réalisateur Philippe Triboit, le scénariste Frédéric Krivine et leur conseiller historique Jean-Pierre Azéma.

Rien n’est jamais acquis à l’homme/Ni sa faiblesse, ni sa force… La fameuse assertion d’Aragon mise en musique par Brassens aurait pu figurer en exergue d’Un village français, peuplé de personnages sans cesse en recherche et en perte d’équilibre. Le médecin, par exemple, à qui l’acteur Renucci prête la seule force de l’hébétude. Il accepte de remplacer le maire emporté par l’exode. Puis de dresser pour l’occupant une liste de vingt pères de famille dont il essaie de ne pas deviner à quoi elle servira. Puis il veut croire que le jeune homme qui siffla au cinéma les actualités montrant la poignée de mains entre Hitler et Pétain, une fois arrêté sera jugé par des magistrats français et non livré à l’Occupant. Etc. Pour autant, son destin n’est pas écrit. À peine esquissé encore. En fait, à chaque instant, chaque occupé, l’échine souple ou la nuque raide, doit prendre des décisions, et ses actes, ses silences, ses mensonges l’entraînent aussitôt à des choix plus cruciaux encore.


 À propos, j’avais une histoire à te raconter, rappelle Eudoxia.

L’avant-veille, de son balcon, elle a remarqué un groupe de jeunes qui « tenaient les murs », et soudain, vu fondre sur eux une escouade de flics, matraques hautes. Elle s’est retournée pour attraper son portable et filmer l’ordre à l’œuvre. D’en bas on l’a aperçue, et la scène d’un coup a perdu, disons, de son intensité. Bon, tant mieux. Le surlendemain (ce matin même), on frappe à sa porte, flics en civil, n’aurait-elle pas, hier, filmé une interpellation ? Hier… non ! saute-t-elle sur l’erreur. Sait-elle si sa voisine de palier… ? Elle ne la connaît guère… Pourrait-elle lui demander, à l’occasion, si elle n’aurait pas… en tout cas de se présenter au commissariat ? Eudoxia, bouche bée. À Timothée elle se déclare effarée de la démarche - en juin 2009 ! - ça lui fait saillir des pommettes à croquer. Timothée hausse les épaules, tu ne vas pas comparer, comparer c’est réduire et banaliser. Si tout mérite les noms de fascisme, de génocide, plus rien n’en mérite l’opprobre. Mais Eudoxia, cause toujours, son histoire la laisse très… elle cherche le mot… pré-occupée.

Occupés Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°105 , juillet 2009.